Repères – Fixation du loyer commercial – Locaux logistiques – Caractère monovalent – Méthode de surface pondérée – Riom – 63000
Cour d'appel de Riom, 3e chambre civile et commerciale réunies, 30 novembre 2022, n° 21/00647
La Cour d'appel de Riom a rendu, le 30 novembre 2022, un arrêt particulièrement éclairant concernant la fixation du loyer de renouvellement d'un bail commercial portant sur des locaux à vocation logistique. Cette décision, qui oppose la société SOGECA IMMOBILIER à la société OCP RÉPARTITION, illustre parfaitement les enjeux techniques et juridiques liés à la qualification des locaux monovalents et à l'application des méthodes d'évaluation dans le contexte spécifique des activités de distribution pharmaceutique implantées en zone d'activité périurbaine.
L'affaire trouve son origine dans un bail commercial conclu par acte sous seing privé du 16 juillet 1997 entre la société d'aménagement, de construction et de vente d'immeubles (SACVI) et la SAS OCP Répartition pour des locaux à usage commercial situés dans la zone d'activité du Brézet à Clermont-Ferrand. Ce bail, d'une durée de douze années à compter du 30 avril 1998, prévoyait un loyer initial de 1 900 000 francs par an (289 653,13 euros) avec indexation annuelle.
La complexité de ce contentieux réside dans la demande de renouvellement formulée par la société OCP Répartition qui, par acte extra-judiciaire du 6 juin 2016, a fait signifier à la SCI SOGECA Immobilier (venue aux droits de la SACVI) une demande de renouvellement du bail à effet du 1er juillet 2016 pour une nouvelle période de douze ans, en contrepartie d'un loyer fixé à 222 431,20 euros hors taxe par an, soit une réduction substantielle par rapport au loyer indexé en vigueur.
1 – Sur la qualification de locaux monovalents et l'existence d'un accord tacite
La question centrale de l'arrêt porte sur la qualification des locaux au regard des dispositions de l'article L. 145-36 du Code de commerce relatif aux locaux monovalents. La SCI SOGECA soutenait que les locaux avaient été spécialement conçus et construits pour satisfaire aux besoins de la société OCP Répartition, entreprise spécialisée dans la distribution de produits pharmaceutiques, activité réglementée imposant des obligations strictes aux grossistes-répartiteurs.
La Cour adopte une approche objective et rigoureuse de cette qualification. Elle rappelle que "le caractère monovalent des locaux, au sens des articles L. 145-36 et R. 145-10 du code de commerce, doit s'apprécier au regard non seulement de l'objet du bail, mais de l'usage en vue duquel les locaux ont été construits, et de leur affectation", citant un arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 2002.
S'agissant de la destination contractuelle, la Cour observe que le bail prévoyait que les locaux seraient constitués d'un "bâtiment à usage de bureaux, d'ateliers et de locaux d'entreposage". Elle considère que cette destination "apparaît en elle-même assez générale, s'agissant d'un bâtiment de grande surface, situé en périphérie de l'agglomération" et "ne comporte pas de spécificité, sur l'activité précise qui peut s'y exercer".
Concernant la consistance matérielle des lieux, la Cour s'appuie sur les constatations de l'expert judiciaire qui a relevé que "les locaux en litige, de grande superficie, peuvent être adaptés à une autre activité que celle de distribution à des officines pharmaceutique, dès lors que les différentes unités communiquent entre elles, que les unités administration et ateliers sont ventilées, et qu'aucun élément d'équipement n'est scellé au sol".
La Cour en conclut que "bien que la destination effective des lieux soit restée, depuis la prise d'effet du bail, celle d'une activité de logistique dans le domaine de la pharmacie, les locaux en cause ne sont pas monovalents, au sens des articles susdits".
Parallèlement, la Cour rejette l'argumentation de la SCI SOGECA concernant l'existence d'un accord tacite sur le montant du loyer. Elle rappelle que "la date de fixation du loyer s'établit au 1er juillet 2016, et qu'avant cette date, le 6 juin 2016, la société OCP Répartition avait fait signifier à la SCI SOGECA une demande de renouvellement du bail, pour une période de neuf à compter du 1er juillet 2016, mais en demandant que le loyer soit réduit à cette date à la somme de 222 431,20 euros".
2 – Sur la méthode d'évaluation et la fixation de la valeur locative
L'un des apports les plus significatifs de cet arrêt réside dans la critique méthodologique de l'application de la méthode de surface pondérée aux locaux logistiques. L'expert judiciaire avait appliqué cette méthode en divisant le local en différentes zones soumises chacune à une pondération selon son utilité (de 1 pour la partie administrative à 0,3 pour les locaux techniques).
La Cour développe une analyse particulièrement fouillée de cette question technique. Elle rappelle que "cette méthode a pour objet de comparer des locaux qui présentent des différences entre eux, elle est principalement utilisée pour des surfaces à usage proprement commercial, en attribuant à chacune de leur partie un coefficient correspondant à son utilité propre".
La Cour considère que "dans le cas, comme en l'espèce, de locaux qui n'ont pas vocation à être ouverts au public environnant, et qui ont pour seule destination une activité de logistique destinée à des professionnels, l'application de la méthode de la surface pondérée n'apparaît pas adaptée, les différentes surfaces du local concourant ensemble à l'activité avec une utilité semblable".
Cette position jurisprudentielle constitue un apport méthodologique important, distinguant clairement les locaux commerciaux ouverts au public des locaux logistiques où toutes les surfaces concourent de manière équivalente à l'activité exercée.
La Cour procède ensuite à une analyse critique des références utilisées par l'expert judiciaire, rejetant notamment la référence Euromaster au motif de sa surface très inférieure et de ses caractéristiques différentes. Elle retient plusieurs références qu'elle considère comme pertinentes et établit le prix du bail par m² de surface réelle à partir de ces références, aboutissant à une moyenne arithmétique de 47,30 euros par m².
Appliquant des correctifs en considération des caractéristiques particulières du local (emplacement favorable, construction récente adaptée à l'activité, bon état d'entretien), la Cour fixe finalement la valeur locative à 60 euros par m², soit 328 380 euros hors taxe par an.Cette décision illustre parfaitement l'évolution des méthodes d'évaluation des locaux commerciaux et confirme l'importance d'une approche différenciée selon la nature de l'activité exercée. Elle constitue un apport jurisprudentiel significatif concernant l'inadaptation de la méthode de surface pondérée aux locaux logistiques et la nécessité d'une analyse rigoureuse du caractère monovalent des locaux.