Repères – Bail commercial – Renouvellement – Déplafonnement – Modification des facteurs locaux de commercialité – Paris – 75007
Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 17 février 2021, n° 18/20834
La Cour d'appel de Paris a rendu le 17 février 2021 un arrêt significatif en matière de renouvellement de bail commercial, opposant la SCPI SOPRORENTE à la SA TECTONA. Cette décision illustre parfaitement les conditions strictes d'appréciation de la modification notable des facteurs locaux de commercialité justifiant le déplafonnement du loyer de renouvellement, particulièrement dans un secteur déjà caractérisé par une forte concentration d'enseignes haut de gamme.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 13 octobre 2000 portant sur des locaux situés dans le 7e arrondissement de Paris, destinés notamment au « mobilier de jardin, équipement et matériel de jardin, treillage, paysagisme, architecture d'intérieur, architecture, urbanisme, antiquités, librairie, encadrement estampes, gravures, tableaux, aquarelles céramiques, marbres, objets d'art ». Par acte d'huissier du 29 juin 2012, TECTONA avait sollicité le renouvellement aux conditions initiales avec un loyer plafonné de 121 050 euros. La SCPI SOPRORENTE avait réclamé un déplafonnement à 170 000 euros. L'expertise judiciaire avait estimé la valeur locative à 146 900 euros mais confirmé l'application du plafonnement. Le tribunal de grande instance de Paris avait fixé le loyer à 121 051,26 euros, décision contre laquelle la bailleresse avait interjeté appel.
1 – Sur l'appréciation de la modification notable des facteurs locaux de commercialité
La bailleresse soutenait que plusieurs éléments constituaient une modification notable des facteurs locaux de commercialité : « l'implantation au cours du bail expiré d'enseignes de vente de mobiliers haut de gamme à proximité immédiate du commerce considéré, la restructuration de l'ancien hôtel des douanes en bureaux luxueux pour des activités financières ou des cabinets d'avocats, en face des locaux dont s'agit, de l'ouverture à proximité d'un magasin Monoprix 'haut de gamme' ». Elle se prévalait également « d'un jugement du juge des loyers de Paris ayant retenu le déplafonnement du montant du loyer du bail renouvelé pour modification notable des facteurs locaux de commercialité pour une boutique située dans la même rue ».
La Cour procède à une analyse méthodique de chacun de ces arguments. S'agissant de la restructuration de l'ancien hôtel des douanes, elle constate qu'« il est acquis aux débats que l'ancien immeuble de la direction générale des douanes, a été vendu et restructuré au cours du bail expiré, ce qui a entraîné une modification de la typologie des salariés occupants les bureaux, les fonctionnaires ayant été remplacés par des cadres du privé ». Cependant, elle relève que « la majeure partie de ces salariés du privé est constituée de collaborateurs juniors, dont le pouvoir d'achat s'il est supérieur à celui des fonctionnaires qui occupaient précédemment les lieux, ne correspond pas à celui de la clientèle haut de gamme ciblée par le commerce considéré ».
Concernant l'évolution des enseignes, la Cour observe que « s'il y a eu un changement des enseignes dans le tronçon de la rue considéré, il s'agit de l'arrivée d'enseignes d'équipement de la personne de moyen de gamme, dont la cible de clientèle ne correspond pas à celle du commerce considéré, à l'exception de l'enseigne Bompard ; il en est de même de l'enseigne Monoprix, quand bien même s'agirait-il d'un magasin de cette chaîne, positionné haut de gamme ».
La Cour souligne particulièrement que « dans un rayon de 500 m, il existait depuis de nombreuses années un nombre important de boutiques dédiées à l'ameublement : Roche & Bobois, Cassina, Kartell, Bofi Cuisine, Varena, Grange, Silvera, Knoll, Calligaris, Les Rideaux de Paris, Varena cuisine, Maxalto ». Dans ces conditions, « l'arrivée des commerces Poltrona Frau, B&B Italia et Poliforme, n'est pas suffisante pour constituer une modification notable des facteurs locaux de commercialité ».
S'agissant des autres éléments invoqués, la Cour constate que « l'augmentation de la fréquentation du métro de 9%, n'est pas significative compte tenu de l'augmentation générale de la fréquentation du métro parisien au cours de la période considérée, aucune construction de logement significative n'ayant été relevée dans un rayon de 500 mètres, et que la faible augmentation de la population du 7e arrondissement passant de 56.988 habitants à 57.092 habitants, avec une augmentation de la population des catégories supérieures au détriment des catégories moins aisées, n'est pas significative, dans la mesure où cet arrondissement s'est toujours caractérisé par une population à fort pouvoir d'achat ».
2 – Sur la charge de la preuve et les spécificités sectorielles
La Cour rappelle le principe fondamental selon lequel « il incombe au bailleur d'apporter la preuve du motif de déplafonnement qu'il allègue ». Elle procède également à une analyse comparative pertinente concernant la décision invoquée par la bailleresse : « Si un déplafonnement motivé par une modification notable des facteurs locaux de commercialité a été retenu par ailleurs dans une autre décision du juge des loyers, il convient d'observer que le commerce considéré était un restaurant, dont la cible de clientèle est distincte de celle du commerce considéré, et pour lequel l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés occupants les bureaux, ainsi que le changement de leurs habitudes de consommation à l'heure du déjeuner a eu un effet favorable sur l'activité de restauration qu'il proposait ».
La Cour précise qu'« il n'y a donc pas de contradiction, à ce que pour deux boutiques situées dans la même rue, la modification des facteurs locaux de commercialité soit reconnue comme notable et profitable au commerce considéré dans un cas, et que ces caractères ne soient pas reconnus dans l'autre cas ». Cette analyse démontre l'importance de l'adéquation entre les modifications du quartier et la clientèle cible du commerce concerné.
S'agissant de la preuve du chiffre d'affaires, la Cour écarte la pièce produite par la locataire en observant qu'« aucune conclusion ne peut être tirée de l'examen de la pièce 13 de la société locataire, s'agissant d'une pièce qu'elle s'est délivrée à elle-même, l'attestation quant à son chiffre d'affaires émanant de son directeur général ».
En conclusion, « faute pour la bailleresse de rapporter la preuve d'une modification notable des facteurs de commercialité ayant une influence favorable sur le commerce considéré », la Cour confirme le jugement de première instance qui a écarté le motif de déplafonnement et maintenu le loyer au montant plafonné de 121 051,26 euros.
Cette décision constitue un arrêt de référence pour l'appréciation de la modification notable des facteurs locaux de commercialité, illustrant la nécessité d'une corrélation directe entre les évolutions du quartier et la clientèle cible du commerce concerné, particulièrement dans les secteurs déjà caractérisés par une forte concentration d'enseignes de même standing.