Repères – Déplafonnement du loyer commercial – Sous-location – Modification des obligations – Versailles – 78000
Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 7 mai 2020, n° 18/08732
La Cour d'appel de Versailles a rendu, le 7 mai 2020, un arrêt significatif en matière de déplafonnement du loyer commercial, dans un litige opposant la SCI CHARGI à la SASU FCA FRANCE. Cette décision examine les conditions dans lesquelles l'autorisation de sous-location peut constituer une modification notable des obligations respectives des parties justifiant un déplafonnement du loyer lors du renouvellement.
L'affaire concerne un bail commercial renouvelé le 22 septembre 2006 pour des locaux à usage de garage, vente et réparation automobile, pour une durée de neuf années moyennant un loyer annuel de 180 000 euros. Par avenant du 27 février 2007, les parties ont convenu d'autoriser la sous-location, précédemment interdite, exclusivement pour la distribution de véhicules neufs des marques du groupe Fiat. La société Fiat France a alors donné les lieux en sous-location à la société NDF Paris moyennant un loyer identique au loyer principal.
Lors du renouvellement du bail au 1er octobre 2016, la société Chargi a demandé un déplafonnement du loyer à 384 000 euros, invoquant une modification notable des obligations respectives des parties résultant de l'autorisation de sous-location. Le juge des loyers commerciaux de Nanterre ayant rejeté cette demande et fixé le loyer à 205 389 euros par application de l'indice, la société Chargi a interjeté appel.
1 – Sur les conditions du déplafonnement et la notion de modification notable
La Cour rappelle d'abord le principe posé par l'article L. 145-34 du Code de commerce selon lequel, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés à l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux. Parmi ces éléments figure notamment la modification des obligations respectives des parties.
La société Chargi soutenait que l'autorisation de sous-location constituait une modification notable en ce qu'elle avait permis la mise en œuvre d'un nouveau modèle économique par le recours à un distributeur indépendant disposant d'une expertise importante, permettant d'optimiser l'activité et de transférer les obligations de locataire sur un tiers.
La société FCA France rétorquait que l'avenant lui avait simplement permis de faire distribuer par un tiers les mêmes véhicules aux mêmes conditions, ce qui aurait pu être réalisé par une location-gérance déjà autorisée par le bail, sans modification notable des obligations.
La Cour procède à une analyse minutieuse des clauses de l'avenant du 27 février 2007. Elle relève que l'autorisation de sous-location est « tout à fait limitée » puisqu'elle ne concerne que la société Fiat France, à l'exclusion d'un éventuel cessionnaire, et n'est autorisée que pour la distribution de véhicules neufs des marques du groupe Fiat.
Elle observe que « la modification ainsi apportée aux obligations respectives des parties porte sur le schéma de vente utilisé par la société FCA France, cette dernière pouvant ainsi passer d'une jouissance personnelle des lieux avec un processus de vente directe à ses clients, à une transmission de cette jouissance à un tiers (sous-location) qui assurera la vente des mêmes véhicules par le biais d'un contrat de distribution ou de concession ».
Tout en admettant l'existence d'une modification, la Cour s'attache à déterminer si celle-ci peut être qualifiée de notable.
2 – Sur l'appréciation du caractère notable de la modification
La Cour développe plusieurs arguments pour écarter le caractère notable de la modification. Elle souligne d'abord que « le fait que la modification ne permette ni l'exercice d'une activité nouvelle, ni même l'exercice de la même activité avec des produits distincts (à savoir des véhicules autres que ceux du groupe Fiat) démontre qu'elle est circonscrite aux seules modalités de vente, ce qui tend à exclure un éventuel caractère notable ».
S'agissant de l'argument relatif à l'expertise du sous-locataire, la Cour observe que « s'il est exact que la société N. est un grand distributeur indépendant disposant d'une expertise reconnue en matière de vente de véhicules, il apparaît que la société Fiat France dispose d'une renommée équivalente dans ce domaine ». Elle reproche en outre à la société Chargi de ne produire « aucun élément chiffré qui permettrait d'affirmer, comme elle le fait, que l'autorisation de la sous-traitance a permis d'optimiser l'activité de la société FCA France ».
Concernant le transfert supposé des obligations, la Cour précise que « l'autorisation de sous-location permet théoriquement un transfert de charges de la société FCA France vers la société N. ». Cependant, elle ajoute qu'« il n'en reste pas moins toutefois que les relations contractuelles entre les sociétés Chargi et FCA France persistent, sans modification des obligations réciproques du bailleur et du locataire, notamment en cas de défaillance du sous-locataire dans le paiement des loyers ».
Enfin, la Cour relève un argument décisif : « le bail prévoyait déjà une possibilité de location-gérance, ce qui permettait à cette dernière de donner son fonds en location à un tiers, la nouvelle possibilité de sous-location des lieux ne constituant pas dès lors une modification notable par rapport aux droits déjà accordés au preneur ».
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la Cour conclut qu'« il est ainsi établi que la modification résultant de l'autorisation de sous-location ne revêt aucun caractère notable, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a dit qu'il n'y avait pas lieu à déplafonnement du loyer du bail renouvelé ».
En conséquence, elle confirme la fixation de la valeur locative par référence à la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux à la somme de 205 389 euros, tout en rectifiant une erreur matérielle sur la date de prise d'effet (1er octobre 2016 au lieu du 1er janvier 2016).
Cette décision illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient le caractère notable des modifications invoquées pour justifier un déplafonnement, privilégiant une analyse concrète des effets réels de la modification sur les obligations contractuelles plutôt que les arguments théoriques avancés par les parties.