Repères – Bail commercial – Renouvellement – Valeur locative – Déplafonnement – Facteurs locaux de commercialité – Nice – 06000
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 11e chambre A, 31 mai 2018, n° 17/10857
La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a rendu le 31 mai 2018 un arrêt significatif en matière de renouvellement de bail commercial, opposant la société FB Investments à la société McDonald's System of France. Cette décision présente un intérêt particulier par son analyse approfondie des modifications notables des facteurs locaux de commercialité justifiant le déplafonnement du loyer et sa méthode rigoureuse de calcul de la valeur locative.
L'affaire concernait un bail commercial initialement conclu le 5 août 1985 pour des locaux situés avenue Jean Médecin à Nice, destinés à une activité de restauration rapide. Ce bail avait fait l'objet de deux renouvellements successifs en 1994 et 2003, avec des loyers fixés judiciairement à 360 920 francs puis 202 611 euros. Suite aux révisions triennales, le loyer atteignait 257 417 euros au 1er avril 2010. Le 30 mars 2012, la bailleresse avait donné congé avec offre de renouvellement pour le 30 septembre 2012, réclamant un loyer déplafonné de 589 500 euros annuels. Le tribunal de grande instance de Nice avait fixé par jugement du 10 mai 2017 le loyer renouvelé à 234 212 euros, décision dont la bailleresse avait fait appel.
1 – Sur l'existence d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité et le déplafonnement corrélatif
L'arrêt développe une analyse particulièrement détaillée des transformations urbaines intervenues dans l'environnement commercial des locaux loués. La Cour s'appuie sur le rapport de l'expert judiciaire de Nice qui « recense avec minutie les modifications intervenues dans les facteurs locaux de commercialité ». Elle identifie trois transformations majeures ayant profondément modifié l'attractivité commerciale du secteur.
La première transformation concerne la mise en service de la première ligne de tramway. La Cour relève que « la 1ère ligne de tramway a été mise en service le 24 novembre 2007 » et dessert l'avenue Jean Médecin. L'impact de cette infrastructure est immédiatement mesurable : « ce moyen de transport a été immédiatement plébiscité puisqu'on comptabilisait 40 000 validations de billets le jour de la mise en service et 60 000 validations quotidiennes à la fin de janvier 2008 soit un peu plus de deux mois plus tard ». La fréquentation n'a cessé de croître, avec « en 2010 le nombre de rames a été augmenté de 20 à 28 », atteignant « 90 000 passagers » en moyenne quotidienne en janvier 2011, puis dépassant « la barre des 100 000 voyageurs » en octobre 2011.
L'expert souligne la position stratégique du restaurant McDonald's : « l'arrêt situé au bas de l'avenue (au droit des 'Galeries Lafayette') et l'arrêt 'Jean Médecin' situé en amont (au droit du centre commercial Nice Etoile) sont les deux arrêts les plus fréquentés de la ligne. Or, le restaurant Mac Donald's en cause se situe à environ 200 mètres de chacun de ces arrêts ».
La deuxième transformation porte sur « le réaménagement de la piétonisation de la place Masséna », située à environ 260 mètres du commerce, qui « était avant les modifications, essentiellement un carrefour pour le trafic automobile » et « a été piétonisée confortant ainsi une fonction de centre touristique de la ville ». La troisième concerne « la piétonnisation totale de l'avenue Jean Médecin » décidée « lors de la mise en service du tramway » pour « favoriser la circulation des piétons ».
L'expert conclut que « la mise en service de la ligne 1 de tramway ainsi que tous les aménagements urbains qui en découlent ont permis une très forte augmentation de la fréquentation de l'avenue depuis 2007 entraînant une modification de l'achalandage du site ». Il précise qu'« il s'agit là de modifications notables des facteurs locaux de commercialité se rapportant au local objet de l'expertise, celui-ci se situant au milieu de la meilleure partie de l'avenue Jean Médecin qui est la portion Sud située entre la place Masséna et l'avenue Thiers et également à mi-chemin des deux arrêts de tramway parmi les plus utilisés de la nouvelle ligne T1 ». L'expert ajoute que « l'afflux supplémentaire de chalands que les différentes modifications ont permis dans cette portion de l'avenue Jean Médecin profite au commerce considéré dont l'activité est la restauration rapide ».
La Cour en déduit qu'« à raison de cette évolution notable et éminemment favorable des facteurs locaux de commercialité le loyer commercial du bail renouvelé au 1er octobre 2012 n'est pas soumis à plafonnement et doit être fixé à la valeur locative ». Elle confirme ainsi le jugement de première instance sur ce point fondamental.
2 – Sur la détermination de la valeur locative et la portée des recommandations professionnelles
La Cour procède à une analyse méthodique des cinq critères de l'article L.145-33 du code de commerce, en développant préalablement une position importante sur la valeur normative des recommandations professionnelles. Elle énonce qu'« il convient d'emblée de mettre en exergue cette évidence que les recommandations figurant dans la Charte de l'expertise ne présentent par essence aucune valeur contraignante étant précisé qu'elles n'ont pas un caractère normatif à l'instar d'un texte législatif ou réglementaire ». Cette position permet à la Cour de valider l'approche de l'expert judiciaire qui s'était écarté des recommandations de la Charte de l'expertise de 2012 pour retenir des coefficients de pondération mieux adaptés aux spécificités du cas d'espèce.
S'agissant des caractéristiques des locaux, l'expert judiciaire a « justement évalué la surface générale utile des locaux commerciaux en cause à hauteur de 605,90 m² et leur surface pondérée à 322 m² ». La Cour valide cette évaluation, écartant les contestations de la bailleresse qui réclamait une surface pondérée plus importante. Concernant la destination des lieux, la Cour rappelle que « selon le bail de 1985 les locaux en cause sont loués à destination exclusive de 'restauration sur place et à emporter sous toutes ses formes présentes et à venir' ».
L'analyse des obligations respectives des parties révèle des clauses particulièrement favorables au preneur. La Cour relève notamment que « le preneur est autorisé pour les besoins de l'exploitation du restaurant à donner son fonds de commerce en gérance libre et/ou à sous louer les locaux loués en tout ou en partie à toute personne physique ou morale de son choix ». L'expert judiciaire « à juste titre relève que cette faculté laissée au preneur de sous louer le local commercial en cause en tout ou partie justifie une majoration de 5 %. La faculté de location gérance quant à elle justifie selon lui, une majoration de 2,5 % ». La Cour valide cette analyse : « l'expert compte tenu des obligations respectives des parties, estime à bon droit qu'il y a lieu d'appliquer une majoration de 7,5 % sur la valeur locative ».
Pour les prix couramment pratiqués dans le voisinage, l'expert a fourni « des loyers de comparaison (11 termes de comparaison) s'agissant du prix au m² qui permettent de fixer une valeur moyenne à hauteur de 813 euros/m², avec une majoration de 2% en raison de la présence de la terrasse soit 816 euros/m²/an ».
La Cour procède au calcul final de la valeur locative : « 816 euros/m²/an x 322 m² pondérés = 262 752 euros/an ». Elle applique ensuite « un correctif au regard des obligations respectives des parties de + 7,5 % », aboutissant à « 262 752 euros x 1,075 = 282 458 euros/an valeur arrondie à : 282 000 euros/an HT HC ». Le loyer est ainsi fixé à 282 000 euros annuels, soit une augmentation de près de 10% par rapport au loyer antérieur de 257 417 euros.
Cette décision illustre l'importance de l'expertise judiciaire dans l'évaluation des transformations urbaines et leur impact sur la valeur locative commerciale, tout en rappelant que les recommandations professionnelles, bien qu'utiles, ne s'imposent pas au juge dans sa mission d'évaluation. L'arrêt démontre également comment des aménagements publics majeurs peuvent justifier un déplafonnement du loyer lors du renouvellement, transformant radicalement l'économie du bail commercial.