Repères – Bail commercial – Renouvellement – Clause d'accession – Plafonnement – Valeur locative – Paris – 75000
Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 29 janvier 2020, n° 17/15682
La Cour d'appel de Paris a rendu le 29 janvier 2020 un arrêt particulièrement instructif en matière de renouvellement de bail commercial, opposant la SAS Andyrest à la SA The Travellers. Cette décision illustre parfaitement les difficultés d'interprétation des clauses d'accession et l'application des règles de plafonnement prévues à l'article L. 145-34 du code de commerce, tout en constituant un excellent exemple de la méthodologie d'évaluation de la valeur locative.
L'affaire concernait un bail commercial initial du 27 juillet 1987, renouvelé en 1996 puis en 2006 pour des locaux situés avenue des Champs-Élysées dans le 8e arrondissement de Paris. Le bail de 2006 avait modifié la destination des locaux, passant d'une activité de change manuel à un usage de pub, salon de thé avec possibilité de restauration. Des travaux considérables avaient été réalisés pour un montant de 3 090 830 euros, augmentant la surface de 407 m² à 456,32 m². À l'expiration en 2014, le bailleur proposait un loyer de 1 200 000 euros tandis que le preneur contestait ce montant. Le tribunal de grande instance avait fixé le loyer à 736 000 euros, décision dont la société Andyrest avait fait appel.
1 – Sur l'interprétation de la clause d'accession et l'absence d'accession en cours de bail
La société The Travellers soutenait que les travaux réalisés par le preneur avaient fait accession au bailleur dès la fin du bail expiré, justifiant ainsi une évaluation sur la base de la surface après travaux. Elle invoquait la clause d'accession du bail prévoyant que « tous changements, embellissements ou amélioration, et en règle générale, tous travaux exécutés par la Société Preneuse dans les lieux loués, demeureront en fin de bail la propriété de la Bailleresse, sans indemnité ». La société Andyrest contestait cette interprétation, estimant que la clause était contradictoire et inapplicable en cas de renouvellement.
La Cour procède à une analyse minutieuse de la clause d'accession et relève que « contrairement à ce qu'a indiqué le jugement entrepris, la clause stipulée au huitièmement du bail ne prévoit pas un cumul d'obligations, à savoir accession en fin de bail au profit du bailleur et remise en état primitif mais prévoit deux options : soit les changements, embellissements ou amélioration, et en règle générale, tous travaux exécutés par le preneur font accession au bailleur en fin de bail sans indemnité, soit le bailleur peut exiger la remise des locaux dans leur état primitif aux frais du preneur ». Elle observe que « l'accession est corrélée en l'espèce à une obligation éventuelle de remise des locaux en leur état primitif » et que « la remise des lieux dans leur état 'primitif' ne peut intervenir lors des renouvellements du bail ». La Cour constate une « contradiction dans les termes du point 8 du bail » et applique l'article 1162 du code civil pour interpréter « la clause contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation, c'est-à-dire, en l'espèce, en faveur de la SAS Andyrest ». Elle considère que « la commune intention des parties consiste en ce que la clause d'accession ne puisse jouer qu'à la fin des relations contractuelles liant les parties ». La Cour ajoute que « la remise en état des locaux ne peut être envisagée lors des renouvellements au regard de la nouvelle destination des locaux et de la nature des travaux » qui « ont touché à la structure de l'immeuble et qui ont augmenté la superficie totale des locaux ». Elle conclut que « la nature des travaux effectués n'est en tout état de cause pas compatible avec une remise dans l'état primitif des locaux aux frais exclusifs du preneur lors du renouvellement » et que « les travaux effectués par la locataire n'ont pas fait accession au bailleur ».
2 – Sur la détermination de la valeur locative et l'application du plafonnement
Les parties étaient en désaccord sur la surface à retenir pour le calcul de la valeur locative, la société The Travellers soutenant qu'il fallait retenir la surface après travaux (456,32 m²) tandis que la société Andyrest demandait l'application de la surface avant travaux (407 m²). Elles divergeaient également sur les coefficients de pondération et la valeur unitaire au mètre carré pondéré. La société The Travellers réclamait une valeur de 3 729 euros/m²B avec une majoration de 15% pour le droit de terrasse, tandis que la société Andyrest sollicitait 3 000 euros/m²B.
La Cour tranche en faveur de la surface avant travaux : « dans la mesure où les travaux n'ont pas fait accession, il convient de retenir la surface des locaux donnés à bail avant travaux ». Elle retient une surface réelle de 407 m² (92 m² au rez-de-chaussée et 315 m² au sous-sol) et procède à une réévaluation des coefficients de pondération, relevant notamment qu'« eu égard à la clé sous voûte du plafond de 3,65m valorisant ainsi le volume de l'espace, un coefficient de 0,50 est plus adapté » pour une partie du sous-sol, aboutissant à une surface pondérée totale de 171,28 m²B.
Pour la valeur unitaire, la Cour examine les références de marché en écartant « les loyers de marché sans réintégration des droits au bail ou droits d'entrée s'agissant de loyers en capital, ce qui ne correspond pas la valeur locative du code de commerce ». Elle écarte plusieurs références trop anciennes ou artificiellement reconstituées et retient « au regard de l'ensemble de ces éléments, compte tenu de la très bonne situation des locaux pour l'activité de restaurant exercée au niveau du Rond-point des Champs Élysées au sein d'une artère bénéficiant d'un important flux de chaland diurne et nocturne et de plus en plus attractive, mais situés sur le trottoir à l'ombre de l'avenue et dans une partie moins commerçante, de la vitrine limitée, du cachet de l'immeuble dont les locaux litigieux dépendent et de l'état du marché locatif en baisse, le prix unitaire de 3 300 euros/m² B apparaît justifié ».
Après application d'un droit de terrasse de 10% et d'une minoration de 5% pour tenir compte de l'absence d'accession des travaux, la Cour fixe la valeur locative à 590 660 euros HT/HC. Cette valeur étant inférieure au loyer plafonné de 635 188,08 euros, la Cour applique le plafonnement et conclut qu'« il n'y a donc pas lieu de statuer sur les motifs de déplafonnement invoqués par le bailleur ».Cette décision constitue un arrêt de référence pour l'interprétation des clauses d'accession en cas de renouvellement de bail commercial, démontrant l'importance de la rédaction contractuelle et l'application du principe d'interprétation contra proferentem. Elle illustre également la méthodologie rigoureuse d'évaluation de la valeur locative et l'impact déterminant de la question de l'accession sur le calcul du loyer de renouvellement.