Repères – Bail commercial – Renouvellement – Pondération des surfaces – Charges exorbitantes – Paris – 75004
Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 24 juin 2020, n° 18/09591
La Cour d'appel de Paris a rendu le 24 juin 2020 un arrêt remarquable en matière de renouvellement de bail commercial, opposant la SCI Mousset à la SARL Le [...]. Cette décision, rendue dans le contexte particulier de la crise sanitaire selon la procédure sans audience, constitue une illustration parfaite de l'application de la charte de l'expertise immobilière pour la pondération des surfaces commerciales et de l'analyse des charges exorbitantes du droit commun dans un local atypique situé en fond de cour.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 17 octobre 2006 portant sur des locaux commerciaux situés dans le 4e arrondissement de Paris, pour une durée de 9 ans moyennant un loyer annuel de 60 000 euros. Par congé avec offre de renouvellement du 7 avril 2015, la SCI Mousset avait sollicité le déplafonnement du loyer en raison d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité. L'expert judiciaire de Paris avait proposé un loyer de renouvellement de 120 840 euros, tandis que le loyer plafonné s'élevait à 68 450,53 euros. Le tribunal de grande instance de Paris avait fixé le loyer à 103 558 euros, décision contre laquelle la bailleresse avait interjeté appel en réclamant 156 000 euros, tandis que la locataire demandait une réduction à 69 038 euros.
1 – Sur la pondération des surfaces selon la charte de l'expertise immobilière
La première question technique portait sur l'application des coefficients de pondération prévus par la charte de l'expertise immobilière dans sa version applicable au 1er juillet 2015. Les parties s'accordaient sur le montant unitaire de 2 400 euros/m² mais s'opposaient sur le calcul de la surface pondérée.
S'agissant de la deuxième zone de vente du rez-de-chaussée, la bailleresse contestait le coefficient de 0,80 retenu par l'expert et réclamait 0,90, arguant que « la charte de l'expertise préconise pour cette zone un coefficient compris entre 1 et 0,80 » et qu'en raison de « la forme rectangulaire de la boutique et de la facilité pour les clients de se déplacer », il n'existait « pas de raison de retenir le coefficient le plus faible ».
La Cour rejette cette argumentation en relevant que « la circulation des chalands dans cette deuxième zone est rendue moins aisée par la présence de deux importants piliers ». Elle précise que « contrairement à ce que soutient le bailleur, il n'y a pas de contradiction entre le coefficient de pondération appliqué à la troisième zone et le coefficient de 0,80 proposé par l'expert judiciaire pour la deuxième zone, situé dans la fourchette basse du barème ». Le coefficient de 0,80 est donc confirmé.
Pour le sous-sol, la bailleresse réclamait un coefficient de 0,40 au lieu de 0,30, mettant en avant que « le sous-sol est desservi par un large escalier en bois auquel est adossé un ancien monte-charge très décoratif, donnant un cachet très particulier aux locaux qui attirent la clientèle au sous-sol ». La Cour écarte cet argument en constatant que « l'escalier d'accès est certes d'une largeur suffisante de 1,20 m, pour autant, il est en bois, et il n'est pas situé au centre de la boutique, mais dans son fond et sur le côté, ce qui rend moins attractif son usage ». Elle retient donc le coefficient de 0,30 « correspondant à l'intérêt présenté par cette surface de vente ».
La particularité majeure de cette affaire résidait dans la situation atypique des locaux, « situés en retrait de 15m par rapport à la rue » et n'étant « accessibles qu'en empruntant le porche de l'immeuble ». Les parties convenaient « qu'il faut effectuer une seconde pondération, afin de prendre en compte cette particularité ».
La locataire réclamait un coefficient de 0,20 en soutenant que « la charte de l'expertise pondère les locaux sur cour à 0,20 », tandis que la bailleresse demandait 0,40 en mettant en avant le caractère « branché » du quartier « consacré essentiellement à la mode » avec « un flux de promeneurs et de touristes ».
La Cour tranche cette controverse en relevant d'abord que « contrairement à ce que soutient la société locataire, la charte de l'expertise en évaluation immobilière 5e édition, applicable en l'espèce ne contient aucune préconisation quant aux locaux sur cour ». Elle précise que les préconisations invoquées « correspondent en fait aux anciennes préconisations de 'l'ensemble des professionnels de l'immobilier', distinctes de celles des 'experts de justice' » et que « ces coefficients correspondant à des dépendances diverses n'ont pas vocation à s'appliquer à une boutique ».
La Cour procède ensuite à une analyse équilibrée des éléments de visibilité : « le commerce est signalé sur rue par une enseigne drapeau, par deux enseignes apposées de part et d'autre de la porte cochère, ainsi que par une enseigne sur la vitrine proprement dite du commerce ». Elle constate que « le linéaire de vitrine du magasin occupe tout le fond de la cour et est en partie visible à partir de la rue comme étant situé dans l'axe de la porte cochère ». Tenant compte du fait que « la porte cochère est maintenue ouverte pendant les horaires d'ouverture du commerce et notamment le dimanche » avec « une forte affluence », elle retient le coefficient de 0,35 proposé par l'expert, considérant que « la visibilité du commerce étant réduite compte tenu de sa situation en fond de cour, mais celle-ci étant compensée par la présence d'enseignes et surtout par le caractère piéton de la rue le dimanche ».
2 – Sur l'analyse des charges exorbitantes et les questions accessoires
La seconde question portait sur l'abattement de 5% appliqué par le premier juge pour charges exorbitantes, que la bailleresse contestait intégralement.
S'agissant du transfert de l'impôt foncier, la bailleresse soutenait que « depuis l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 et de son décret d'application du 3 novembre 2014, le transfert au preneur de l'impôt foncier opéré par l'article R145-35 du code de commerce constitue désormais une exception légale qui permettant de déroger exclut la qualification de charge exorbitante ».
La Cour rejette cette argumentation en précisant que « si l'article R145-35 du code de commerce interdit de transférer au preneur certains travaux ou certaines taxes, cela ne signifie pas que les travaux et les taxes qui restent transférables par une clause particulière aient perdu leur caractère de charges exorbitantes ». Elle confirme l'abattement de 3% « compte tenu de la clause qui transfère sur la société locataire le remboursement de la taxe foncière, cet impôt incombant normalement au bailleur ».
Pour l'assurance de l'immeuble, la bailleresse arguait que « la société locataire n'ayant jamais payé une assurance afférente à l'immeuble » et s'engageait « à faire disparaître cette clause de l'acte de renouvellement ». La Cour écarte ces arguments en rappelant que « le juge qui doit apprécier la valeur locative lors du renouvellement, celui-ci s'opérant aux clauses et conditions du bail expiré, ne peut tenir compte ni de la non-application par le passé d'une clause, ni de sa suppression pour le futur de par la volonté d'une partie ». L'abattement de 1% est maintenu.
En revanche, s'agissant des travaux prescrits par l'administration, la Cour procède à une analyse minutieuse des clauses contractuelles et conclut que « faute de stipulation expresse du bail mettant à la charge du preneur les travaux prescrits par l'administration, relèveraient-ils de l'article 605 du code civil, il n'y a pas lieu de procéder à un abattement de la valeur locative de ce chef ». L'abattement total est donc ramené à 4%.
S'agissant du lissage des loyers, la Cour confirme le refus du premier juge de statuer sur les modalités de lissage, rappelant que « ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il revient aux parties, et non au juge des loyers commerciaux dont la compétence est limitée aux contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, d'établir l'échéancier de l'augmentation progressive du loyer ».
Au final, la valeur locative s'établit à 122 112 euros (53 m² x 2 400 euros x 0,96), soit un montant supérieur à la décision de première instance mais inférieur aux prétentions de la bailleresse. Cette décision constitue un arrêt de référence pour l'application de la charte de l'expertise immobilière aux locaux commerciaux atypiques et pour l'analyse des charges exorbitantes dans le contexte post-loi Pinel.