Repères – Bail commercial – Renouvellement – Local monovalent – Camping – Montpellier – 34000
Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre C, 6 novembre 2018, n° 16/01030
La Cour d'appel de Montpellier a rendu, le 6 novembre 2018, un arrêt particulièrement instructif en matière de renouvellement de bail commercial portant sur un terrain de camping, dans un litige opposant la SARL Loisirs 2000 au Groupement Foncier Agricole Cassafieres. Cette décision illustre parfaitement l'application des règles spécifiques aux locaux monovalents et la détermination du loyer selon les usages observés dans la branche d'activité considérée.
L'affaire trouve son origine dans un bail commercial conclu le 22 juin 1976 entre M. S., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant statutaire du groupement foncier agricole de Cassafieres, et la SARL Loisirs 2000. Ce bail portait sur plusieurs parcelles sises commune de Vias, comprenant des constructions, à usage d'activité de camping, village de vacances et autres activités connexes à l'exclusion de toute activité naturiste. Conclu pour une durée de douze ans, ce bail avait expiré le 31 mai 1998, puis avait été renouvelé par acte authentique du 28 avril 2000 pour une durée de douze ans consécutifs à compter du 1er juin 2000, soit jusqu'au 31 mai 2012, moyennant un loyer annuel de 280 000 francs (soit 42 685,72 euros) hors taxes, révisable tous les trois ans.
Par acte du 22 août 2012, le GFA Domaine de Cassafieres avait donné congé à la SARL Loisirs 2000 avec offre de renouvellement pour une durée de neuf ans et fixation d'un prix du bail renouvelé à la somme de 230 000 euros annuel hors charges et taxes à compter du 1er avril 2013. Le tribunal de grande instance de Béziers avait, par jugement du 19 janvier 2016, déclaré recevable l'action du GFA, qualifié le bail de monovalent relevant de l'application des dispositions de l'article R.145-10 du code de commerce, et ordonné une expertise judiciaire pour la fixation du loyer.
1 – Sur la recevabilité de l'action du bailleur et la question de l'avenant litigieux
La première question soulevée devant la Cour d'appel concernait la recevabilité de l'action du GFA Cassafieres, la SARL Loisirs 2000 prétendant qu'un accord était intervenu entre les parties par la signature d'un avenant en date du 17 novembre 2014 fixant le loyer à 64 000 euros hors taxes.
La Cour adopte une analyse rigoureuse de la formation du contrat, rappelant les principes fondamentaux du droit des obligations. Elle constate que « le premier juge a justement fait référence aux articles 1134 et 1315 du code civil » pour analyser la preuve de l'accord allégué. Toutefois, elle relève une erreur matérielle du premier juge qui avait indiqué que l'avenant avait été signé uniquement par la SARL Loisirs 2000, alors qu'il s'agissait en réalité de la signature du seul GFA Domaine de Cassafieres.
La SARL Loisirs 2000 avait communiqué en appel un exemplaire signé par les deux parties. La Cour fait preuve d'une grande perspicacité en relevant que « s'il n'y a pas lieu de considérer comme une falsification le fait d'avoir contresigné l'offre après le jugement de première instance, il s'agit assurément d'un manque de loyauté de la part de l'appelante qui ne mentionne nullement dans ses écritures avoir signé l'avenant après la procédure de première instance ». Elle note qu'« il faudra attendre l'audience devant la présente cour pour que l'explication soit donnée par la voix de son conseil ».
L'élément déterminant de l'analyse réside dans la constatation qu'« il ressort clairement d'une lettre du 13 avril 2015 que l'intimée a rétracté son offre au motif de l'absence d'acceptation du projet de bail proposé ». La Cour en déduit logiquement que « l'appelante ne peut se prévaloir d'une signature intervenue postérieurement ».
Elle écarte également l'argument tiré de l'émission d'une facture, relevant que « la "facture du solde des loyers 2013-2014 suite à avenant au bail en date du 14 novembre 2014" ne saurait faire la preuve de l'exécution d'un accord intervenu sur le montant du loyer renouvelé alors qu'elle a été émise en même temps que l'offre d'avenant signée par la bailleresse ».
La Cour conclut qu'« il ne peut être considéré en raison de la caducité de l'offre qu'il y a eu entre les parties un accord de volonté dont il peut être déduit des conséquences en matière de fixation du loyer », confirmant ainsi la recevabilité de l'action du bailleur. Elle précise qu'« aucune pièce ou acte n'a été émis postérieurement au 13 avril 2015 qui justifierait d'un quelconque accord des parties sur le montant du loyer renouvelé ».
S'agissant de la demande de dommages-intérêts de 15 000 euros formée par le GFA au titre du préjudice causé par la production d'un prétendu faux document, la Cour la rejette en constatant que « l'intimée ne justifie d'aucun préjudice susceptible d'ouvrir un droit à indemnisation ».
2 – Sur la qualification du bail et la fixation du loyer renouvelé
La seconde partie de l'arrêt aborde la question fondamentale de la qualification du bail et de la méthode de fixation du loyer applicable.
La SARL Loisirs 2000 contestait la qualification de local monovalent retenue par le premier juge, considérant qu'il s'agissait « d'un terrain aménagé en vue de plusieurs utilisations, certes autour du tourisme mais pas uniquement pour le camping ou l'hôtellerie de plein air, un changement de destination par exemple en terrain de stockage ou de loisirs pouvant être envisagé sans travaux importants et coûteux ».
La Cour rappelle le cadre juridique applicable, citant l'article R.145-10 du code de commerce selon lequel « le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut, par dérogation aux articles L.145-33 et R.145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée ». Elle précise que « le caractère monovalent doit s'apprécier au regard de l'objet du bail mais également des critères objectifs liés aux caractéristiques des locaux donnés à bail ».
L'analyse de la Cour se fonde d'abord sur l'objet contractuel du bail. Elle relève que « le contrat conclu le 22 juin 1976 prévoit ainsi que "Le preneur pourra exercer dans les lieux loués et déjà aménagés à cet effet, l'activité de camping, village de vacances et autres activités connexes ou complémentaires à l'exclusion de toute activité naturiste" ». Elle en déduit qu'« il s'agit bien d'une activité unique d'hôtellerie de plein air saisonnière exercée sur un terrain spécifiquement aménagé à cet effet », rappelant que « les hôtels constituent l'exemple classique de locaux monovalents ».
L'analyse se poursuit par l'examen des caractéristiques physiques des lieux. La Cour constate qu'« il résulte en outre du descriptif et du plan des lieux que tout est aménagé en terrain de camping ou village de vacances, dont les réseaux d'eau et d'électricité, la voirie, l'aménagement paysager et ombragé avec délimitation des emplacements, trois groupes sanitaires avec douche, wc et laverie, la zone de loisirs avec piscine, la zone de commerce avec bar et restauration affectée au seul camping ».
Elle rejette fermement l'argumentation de la locataire, estimant que « l'appelante ne peut donc sérieusement soutenir que le terrain pourrait être utilisé comme terrain de stockage, de loisirs ou autre, en se référant aux emplacements nus, dans la mesure où les lieux doivent être considérés dans leur ensemble ».
La Cour aborde également la question des investissements réalisés, précisant que « contrairement à ce que soutient l'appelante, l'intimé peut se prévaloir des investissements passés pour voir retenir la qualification de locaux monovalents du moment qu'ils correspondent à des travaux qui sont la propriété du bailleur ». Elle constate que « la transformation du camping en une autre activité rendrait inutile une partie des coûteux investissements. Ainsi en est-il par exemple des lourds aménagements que constituent les réseaux d'eau, d'électricité et d'assainissement en cas d'utilisation en terrain de stockage ou encore des hectares de terrain destinés à l'hébergement précaire de vacanciers dont il n'est pas contesté qu'il s'agit de la principale source de revenus de l'exploitation, en cas d'usage en centre aquatique ».
La Cour fait droit à la demande d'évocation du GFA, se fondant sur l'article 88 du code de procédure civile. Elle relève « la longueur de l'instance, le dépôt du rapport d'expertise établi le 28 février 2017 et du mémoire après rapport du demandeur ». Elle constate qu'« un débat au fond a bien eu lieu devant la présente cour, la SARL Loisirs 2000 faisant valoir dans ses conclusions ses critiques du rapport concernant le montant du loyer notamment en ce qui concerne l'évaluation du chiffre d'affaires et sollicitant à titre subsidiaire sa fixation au montant annuel de 85 000 euros ».
S'agissant de la méthode d'évaluation, la Cour confirme que « conformément à l'article R.145-10 précité, le loyer doit être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée ». Elle valide l'approche de l'expert, estimant que « la méthode hôtelière appliquée à la spécificité des campings est donc bien adaptée en l'espèce et n'est pas utilement contestée par l'appelante ».
La question de la répartition du chiffre d'affaires entre les différentes parcelles constituait un point de désaccord majeur. La Cour note qu'« il est constant que le camping n'est pas exploité sur les seules parcelles louées par le GFA mais également sur des parcelles appartenant à la preneuse ou à des tiers ». L'expert judiciaire avait retenu « une proportion de 4/5 de chiffre d'affaires réalisé grâce aux parcelles louées par le GFA, proportion contestée par l'appelante ». La Cour retient cette proportion en constatant qu'« il ressort du plan communiqué et de la photographie aérienne que toute l'infrastructure lourde du camping avec la plupart des grands bâtiments (trois groupes sanitaires, douche, WC, lavoir avec bâtiment attenant contenant une cuve, commerces, logements du personnel, bar restaurant) se trouve sur la partie louée par le GFA et sans laquelle le camping ne pourrait pas être exploité ».
La Cour valide également la cohérence des différentes méthodes d'évaluation utilisées par l'expert, relevant qu'« il obtient des valeurs locatives annuelles très proches » : 138 500 euros par application de la méthode hôtelière, 133 850 euros par application de la méthode de comparaison, et 135 797 euros par application de la méthode de rendement.
En conséquence, la Cour fixe « comme prix du bail à la date de renouvellement le 1er avril 2013, la somme de 135 800 euros HT », tout en condamnant la SARL Loisirs 2000 à payer 4 000 euros au GFA Domaine de Cassafieres en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.
Cette décision constitue un exemple de l'application des règles spécifiques aux locaux monovalents dans le secteur de l'hôtellerie de plein air, démontrant l'importance de l'analyse concrète des caractéristiques des lieux et des investissements réalisés pour déterminer la qualification des lieux.