Repères – Fixation du loyer du bail commercial renouvelé d'une polyclinique – Locaux monovalents – Avignon – 84000
Cour d'appel de Nîmes, 4e chambre commerciale, 13 janvier 2021, n° 18/03125
La Cour d'appel de Nîmes a rendu le 13 janvier 2021 un arrêt important concernant la fixation du loyer d'un bail commercial renouvelé portant sur une polyclinique située à Avignon. Cette décision illustre les spécificités du régime des locaux monovalents et précise les modalités d'évaluation de la valeur locative des établissements de santé privés.
Le litige opposait la SA Polyclinique Urbain V, locataire, à la SCI Urbain V puis à la SAS Immobilière Clairefontaine, bailleresses successives, dans le cadre d'un ensemble immobilier d'une superficie totale de 8 153 m² comprenant salles d'opération, chambres, bureaux et espaces de consultation.
1 – Sur l'application du régime spécifique des locaux monovalents et le rejet des demandes d'abattement
La particularité de cette affaire réside dans la qualification des locaux de polyclinique comme locaux monovalents, construits en vue d'une seule utilisation et inaptes à un autre usage que celui pour lequel ils ont été édifiés.
La Cour a rappelé le principe fondamental selon lequel, aux termes de l'article R.145-10 du code de commerce, le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée, par dérogation aux règles générales de fixation du loyer commercial.
En conséquence, pour les locaux monovalents, le loyer doit être fixé à la valeur locative, indépendamment des règles du plafonnement prévues aux articles L.145-38 et suivants du code de commerce.
La polyclinique sollicitait un abattement de 20% compte tenu du caractère monovalent des locaux et de leurs structures spécifiques. La Cour a fermement rejeté cette demande, considérant que la monovalence n'entraîne aucune sujétion ou contrainte pour le preneur du fait de son activité. Au contraire, cette spécificité justifie l'application du régime dérogatoire de l'article R.145-10, plus favorable au bailleur.
La polyclinique invoquait également les nombreux travaux d'amélioration et d'équipements qu'elle avait réalisés à ses frais pour justifier un abattement supplémentaire de 15%. La Cour a également écarté cette demande, précisant que l'article R.145-8 du code de commerce (qui prévoit la prise en compte des améliorations seulement si le bailleur en a assumé la charge) ne s'applique pas aux locaux monovalents. Ces derniers obéissent au régime spécifique de l'article R.145-10, qui exclut l'application des règles générales d'évaluation.
Enfin, la polyclinique, se déclarant non assujettie à la TVA, demandait que le loyer soit fixé TTC plutôt qu'HT. La Cour a rejeté cet argument, considérant que la valeur locative est déterminée à partir de références de loyers HT et que les parties avaient expressément consenti dans le bail à payer le loyer « hors taxe, plus TVA au taux légal ».
2 – Sur la détermination de la valeur locative par la méthode métrique
Les parties s'accordaient sur l'utilisation de la méthode métrique, consistant à dégager une surface pondérée par rapport à la surface utile brute et à multiplier le résultat par un prix au mètre carré de biens comparables.
Le rapport d'expertise avait retenu une surface utile brute de 8 153 m². La polyclinique contestait cette surface et demandait l'application d'un coefficient de pondération supplémentaire, arguant que la surface pondérée devrait être de 4 766 m².
La Cour a confirmé la surface pondérée de 8 076 m² retenue par le premier juge, rejetant la demande de pondération supplémentaire pour les raisons suivantes :
- L'existence d'une sous-location au rez-de-chaussée (106 m² pour 385 euros/m²) démontrant la valorisation de ces espaces ;
- L'implantation au rez-de-chaussée de services incontournables de la clinique (pharmacie, buanderie, cafétéria, cuisines, locaux administratifs) ; et
- La confirmation du coefficient de pondération de 0,7 pour les locaux du 4ème étage.
L'évaluation s'appuyait initialement sur les établissements de référence situés à Orange, Marseille, Montpellier et La Ciotat. La bailleresse a apporté un élément de comparaison nouveau déterminant : la clinique Montagard à Avignon, exploitée par le groupe Elsan (auquel appartient également le preneur), pratiquant un loyer de 285 euros HT/m².
En intégrant cette nouvelle référence aux établissements déjà retenus, la moyenne du prix au m² s'élevait à 188,13 euros/m², très proche de l'estimation de l'expert T. qui retenait 185 euros/m². La Cour a validé l'estimation de l'expert à 185 euros/m², considérant cette évaluation comme fiable et cohérente avec l'ensemble des références disponibles.
Sur la base des éléments retenus, la Cour a fixé le loyer du bail renouvelé selon le calcul suivant : 185 euros × 8 076 m² = 1 494 060 euros HT et HC par an à compter du 1er janvier 2017.
Cette décision représente un rehaussement significatif par rapport au jugement de première instance (1 364 844 euros) mais reste inférieure aux demandes des bailleresses (entre 1 508 305 euros et 1 519 364,80 euros) et très supérieure aux demandes du preneur (859 900 euros à 1 290 000 euros selon les hypothèses).Cette décision s'inscrit dans la lignée jurisprudentielle reconnaissant les spécificités des baux commerciaux portant sur des locaux à usage unique, tout en précisant les modalités concrètes d'application de ces principes aux établissements de santé privés.