Repères – Fixation du loyer commercial – Absence de déplafonnement – Obligations des parties – Facteurs de commercialité – Paris – 75001
Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 20 octobre 2021, n° 20/03262
La Cour d'appel de Paris a, dans un arrêt rendu le 20 octobre 2021, tranché un litige relatif à la fixation du loyer d'un local commercial situé dans le 1er arrondissement de Paris. Cette décision précise les conditions d'application du plafonnement légal du loyer et analyse les motifs susceptibles de justifier un déplafonnement.
Le litige portait sur la fixation du loyer d'un bail commercial renouvelé concernant des locaux exploités par la société Lissac Enseigne, preneur, et appartenant à la société Cofima, bailleur. Le local, situé dans un immeuble de style Art Déco au centre de Paris, présentait une surface totale de 1.161,30 m² avec une surface pondérée retenue de 423 m².
Dans le cadre de ce contentieux, les questions centrales portaient sur :
- D’abord, l'existence d'un accord des parties pour renoncer à l'application du plafonnement légal ;
- Ensuite, l'existence de motifs légaux de déplafonnement, notamment une modification notable des obligations des parties ou des facteurs locaux de commercialité ; et
- Enfin, le montant de la valeur locative et son incidence sur la fixation du loyer renouvelé.
1 – Sur la renonciation alléguée à l'application du plafonnement légal
À l'origine de la procédure, la société Cofima avait délivré congé le 5 décembre 2014 et proposé le renouvellement du bail à compter du 8 juin 2015 moyennant un loyer annuel de 1.304.910 euros HT/HC. La société Lissac Enseigne avait accepté le principe du renouvellement mais contesté le montant du loyer proposé, sollicitant sa fixation à 650.000 euros HT/HC.
En première instance, le juge des loyers commerciaux avait, par jugement du 10 janvier 2020, fixé le loyer à 621.286,93 euros HT/HC par application du plafonnement légal.
La société Cofima soutenait en appel qu'un accord était intervenu entre les parties pour renoncer à l'application du plafonnement, la société Lissac Enseigne ayant demandé la fixation du loyer à la valeur locative dans son mémoire préalable.
La Cour d'appel rappelle que la règle du plafonnement n'est pas impérative et que les parties peuvent y déroger par leurs conventions ou tout accord ultérieur, mais que cet accord « doit être certain et non équivoque, s'agissant d'une règle protectrice ».
En l'espèce, la Cour considère que la preuve d'un tel accord n'est pas rapportée. Elle relève que :
- La lettre d'acceptation du renouvellement du 16 décembre 2014 proposait de fixer le loyer à 650.000 euros HT/HC, « sans référence particulière, ni au plafonnement, ni à la valeur locative » ;
- Le mémoire préalable à la saisine du juge des loyers commerciaux contenait « l'affirmation, au début de la discussion, de l'application du principe du plafonnement, ce qui exclut toute volonté d'y renoncer » ; et
- Le mémoire en réponse de la société Cofima ne prenait pas acte d'une renonciation mais motivait au contraire « la demande tendant à écarter la règle du plafonnement par une variation notable des facteurs locaux de commercialité ».
La Cour en conclut que « le débat devant le juge des loyers commerciaux n'a donc pas eu pour seule base le calcul de la valeur locative », rejetant ainsi le premier moyen de la société bailleresse.
2 – Sur l'existence de motifs légaux de déplafonnement
La Cour relève qu'aucune partie ne prétend qu'au cours du bail expiré aurait été constatée une modification notable des caractéristiques du local considéré ou de la destination des lieux.
S'agissant des obligations respectives des parties, la société Cofima invoquait quatre modifications législatives intervenues au cours du bail expiré :
- La modification par la loi de l'indice de référence pour le calcul du loyer plafonné ;
- L'interdiction d'imputer au locataire les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers ;
- L'introduction d'un droit de préférence au profit du locataire en cas de vente des locaux ; et
- La prohibition d'imputer au locataire les dépenses relatives aux grosses réparations.
La Cour écarte l'ensemble de ces moyens.
Concernant la modification de l'indice, la Cour considère qu’elle « n'a pas eu d'incidence sur le loyer au cours du bail expiré, et n'a en outre comme seul objectif et comme effet de mieux corréler le prix du loyer à l'évolution de l'activité économique et de l'inflation », ce qui était précisément la volonté des parties en stipulant l'indexation du loyer.
S'agissant des honoraires de gestion, la Cour observe que le bail stipulait que le preneur prenait à sa charge « les honoraires d'administration ou de gérance de l'immeuble », mais que cette stipulation n'impliquait pas « qu'un supplément autre que le remboursement d'honoraires de gestion » était dû. Elle ajoute que le bailleur n'a pas produit de factures d'honoraires permettant d'établir la réalité et l'importance de cette charge.
Quant au droit de préférence institué par l'article L.145-46-1 du code de commerce, la Cour estime qu'il « n'entraîne pas [...] une modification notable des obligations du bailleur, mais seulement une contrainte pour respecter ce nouveau droit du locataire, qui n'affecte pas significativement l'équilibre économique du contrat et ne peut avoir qu'une incidence très limitée sur la fixation de la valeur locative ».
Enfin, concernant la prise en charge des grosses réparations, la Cour relève que le moyen est « inopérant » dès lors que le bail ne mettait pas ces réparations à la charge du preneur. Elle observe que « le bail ne vise pas l'article 606 du code civil » et que les stipulations contractuelles « ne suffisent pas à mettre à la charge du preneur le remplacement complet de la couverture de l'immeuble ».
La société Cofima soutenait en outre que les facteurs locaux de commercialité avaient connu une modification notable, invoquant notamment :
- L'amélioration de la qualité des enseignes présentes dans la rue entre 2006 et 2015 ;
- La hausse de la fréquentation des stations de métro et RER à proximité ;
- L'évolution du nombre d'entreprises dans le 1er arrondissement ; et
- L'augmentation de la fréquentation touristique, du service Vélib et du nombre de meublés touristiques.
S'appuyant sur le rapport d'expertise, la Cour rappelle que :
- La population du 1er arrondissement de Paris a baissé entre 2006 et 2013 ;
- Le nombre d'emplois dans cette zone est resté stable et le nombre de créations d'entreprise aussi ;
- Les stations de métro les plus proches (Châtelet, Pont Neuf, Hôtel de ville) n'ont pas connu d'augmentation significative de leur trafic ;
- La fermeture de La Samaritaine en 2004, avant le début du bail renouvelé, a certes entraîné un report de la clientèle vers les Halles et le BHV, mais ce phénomène n'a eu qu'une influence limitée sur la commercialité de la [...] où se situe le local loué ;
- La création de stations « Vélib » et « Autolib » a été compensée par la perte de stationnements ; et
- L'évolution de la fréquentation du musée du Louvre ou du Forum des halles, assez éloignés, a été sans incidence notable sur le commerce de l'optique.
La Cour adopte « entièrement » l'avis de l'expert immobilier de paris selon lequel « le seul élément important d'évolution était la fermeture de La Samaritaine, compensé partiellement par l'augmentation de la fréquentation du RER et une légère amélioration de sa commercialité, tandis que les autres éléments étudiés, qualifiés de neutres, n'ont eu aucune incidence ».
Elle en conclut que « ces éléments de variations ne permettaient pas de retenir une évolution notable des facteurs locaux de commercialité [...], même par le cumul de plusieurs facteurs de commercialité ».
3 – Sur la détermination du loyer
La Cour adopte l'approche de l'expert judiciaire pour déterminer la valeur locative, en retenant :
- Une surface pondérée de 423 m² en base grande surface (PGS) ;
- Un prix unitaire de 1.800 euros/m²B, justifié par « la très bonne situation de l'immeuble, en angle, de style Art Déco, dans un quartier central de bureaux et habitation mais également très commerçant et touristique, parfaitement desservi par les transports en commun, offrant une excellente visibilité et beaucoup de commodités » ;
- La déduction de la taxe foncière (26.263 euros), mais non de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (10.794 euros), cette dernière correspondant « à un service dont bénéficie exclusivement le locataire » ; et
- Un abattement de 4% pour tenir compte des clauses exorbitantes du bail.
Sur ces bases, la valeur locative est établie à 705.731,52 euros HT/HC par an.
En application du régime légal du plafonnement, la Cour calcule le loyer plafond comme suit : 561.632 euros (loyer d'origine) × 108,52 (ILC 3T 2014) / 92,86 (ILC 3T 2005) = 621.286,93 euros HT/HC.La valeur locative (705.731,52 euros) étant supérieure au loyer plafonné (621.286,93 euros), la Cour confirme le jugement qui avait fixé le loyer renouvelé à ce dernier montant.