Repères – Fixation du loyer commercial – Grande surface alimentaire – Pondération des surfaces – Clause d'indexation – Riom – 63000
Cour d'appel de Riom, 3e chambre civile et commerciale réunies, 14 février 2018, n° 14/01669
La Cour d'appel de Riom a rendu, le 14 février 2018, un arrêt particulièrement instructif concernant la fixation du loyer de renouvellement d'un bail commercial portant sur une grande surface alimentaire. Cette décision, qui oppose l'indivision de S.-V. à la société ATAC, illustre parfaitement les enjeux techniques et juridiques liés à l'évaluation des surfaces commerciales complexes et aux modalités d'application des critères de détermination de la valeur locative dans le contexte spécifique des moyennes surfaces alimentaires implantées en zone rurale.
L'affaire trouve son origine dans un bail commercial conclu par acte authentique du 17 février 2000 entre l'indivision de S.-V. et la société AUCHAN France (aux droits et obligations de laquelle vient la société ATAC) pour un ensemble immobilier à usage de vente de produits alimentaires situé à Aurillac. Ce bail, d'une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2000, venait en renouvellement d'un bail initial conclu le 24 octobre 1969 qui avait fait l'objet de modifications successives.
L'élément déterminant de ce contentieux réside dans l'avenant n° 1 du 3 août 2001, aux termes duquel il avait été convenu d'étendre la surface hors œuvre nette des locaux loués de 5 293,63 m² à 6 207,38 m² en fonction de constructions à réaliser par le preneur. En contrepartie de la réalisation de ce projet de construction, l'avenant stipulait expressément que "lors du renouvellement du bail en cours, soit le 1er juillet 2009, le loyer sera déplafonné et fixé à la valeur locative des locaux et ce y compris ceux édifiés aux frais du preneur".
Cette clause contractuelle a généré un contentieux complexe lorsque, par actes d'huissier des 16 et 29 décembre 2009, l'indivision de S.-V. a délivré congé à la société ATAC, offrant le renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2010 moyennant un loyer annuel de 645 000 euros hors taxes et hors charges. La société ATAC, tout en acceptant le principe du renouvellement, a contesté cette valeur locative par lettre du 30 décembre 2009.
1 – Sur les questions de compétence et la recevabilité des demandes accessoires
La Cour d'appel rappelle avec fermeté les règles de compétence en matière de contentieux locatif commercial. Elle observe qu'il résulte des dispositions de l'article R. 145-23 du Code de commerce que "les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal de grande instance ou le juge qui le remplace et que les autres contestations sont portées devant le tribunal de grande instance".
La Cour en déduit que "saisie de l'appel d'une décision du juge des loyers commerciaux, elle n'a d'autre compétence que celle relative à la fixation du loyer commercial". Cette précision méthodologique lui permet de rejeter la demande de la société ATAC tendant à la restitution des conséquences de l'indexation des loyers résultant de la clause d'échelle mobile dont elle contestait la régularité.
La Cour observe que la société ATAC "énonce de surcroît de façon erronée que dans son arrêt mixte du 27 janvier 2016 la cour a déclaré la clause de révision irrégulière alors même qu'elle a confirmé la décision du juge des loyers qui avait décidé que le loyer devait être fixé conformément à la valeur locative". Elle considère donc que cette demande, formée tardivement et devant une juridiction incompétente, ne peut qu'être rejetée.
Concernant la demande d'organisation d'une nouvelle expertise formulée par la société ATAC, la Cour adopte une position pragmatique. Elle relève que "l'instance en fixation du loyer commercial est engagée depuis une assignation du 13 avril 2011, deux expertises judiciaires ont été déjà été ordonnées dont les rapports sont joints à la procédure, et les deux parties se sont, chacune, utilement pourvue, de l'avis des techniciens qu'elles ont estimé devoir consulter". Elle qualifie donc de "dilatoire" cette demande et la rejette.
2 – Sur la détermination de la valeur locative et l'application des critères légaux
La Cour procède à une analyse méthodique des critères de détermination de la valeur locative énumérés par les articles L. 145-33 et suivants et R. 145-2 et suivants du Code de commerce. Elle rappelle que cette valeur locative doit être fixée "en fonction des caractéristiques du bien loué, de sa destination, des charges respectives mises à la charge des parties par le contrat, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage".
S'agissant de la situation géographique, la Cour dresse un constat précis de l'environnement économique local. Elle observe que les locaux se situent à Aurillac, préfecture du département du Cantal, dont "l'évolution démographique est décroissante : elle comptait 30 551 habitants en 1999 et 27 338 en 2011. La population est vieillissante et dotée d'un revenu moyen plus faible que la moyenne nationale".
Concernant les caractéristiques physiques de l'ensemble immobilier, la Cour retient la description détaillée de l'expert judiciaire B. Il s'agit d'un "immeuble commercial initialement édifié au début des années 1970, doté d'une ossature métallique avec des élévations en maçonnerie, en bardage métallique et en vitrines sur cadre métallique ou aluminium". L'ensemble, implanté sur un terrain de 13 405 m² et disposant d'environ 232 places de stationnement et d'une station-service, comprend notamment au rez-de-chaussée une surface de vente, un accueil, des bureaux, des réserves et la chaufferie, et à l'étage une cafétéria accessible par un escalier intérieur indépendant.
La question technique centrale porte sur la détermination des surfaces utiles et leur pondération. Après vérification contradictoire, l'expert judiciaire a retenu les surfaces utiles suivantes : au rez-de-chaussée, 3 011 m² de surface accessible à la clientèle, 1 369 m² de surface non accessible à la clientèle et 240 m² de locaux techniques ; à l'étage, 502 m² de cafétéria, 450 m² de surfaces non accessibles à la clientèle et 257 m² de bureaux ; pour la station-service, 356 m² d'aire et 55 m² d'auvent, soit un total de 6 240 m².
La Cour adopte une approche rigoureuse en se référant à "la Charte de l'expertise en évaluation immobilière qui constitue les références adoptées de façon usuelle tant par l'ensemble des professionnels de l'immobilier commercial que par les instances judiciaires dans le cadre de la fixation de la valeur locative des baux renouvelés".
Appliquant la méthode propre aux magasins de grande surface, la Cour considère que "la zone de vente totale, qui excède effectivement 3 000 m², sera prise en considération avec un coefficient de pondération de 1 tandis que les annexes (réserves, locaux techniques, dégagements) seront affectées d'un coefficient de 0,10". Cette pondération aboutit à une surface pondérée de 3 744,6 m².
Concernant la station-service, la Cour rejette l'argumentation de la société ATAC qui proposait de l'exclure totalement du calcul. Elle considère que cette "surface annexe consacrée à la vente et qui est sous-louée par la société ATAC ne saurait valablement être totalement abstraite de ce calcul et sa surface sera pondérée selon le même coefficient" de 0,10, ajoutant 41,10 m² pondérés pour une surface pondérée totale de 3 786 m².
S'agissant des termes de référence, la Cour valide la valeur de 115 euros au m² pondéré proposée par l'expert judiciaire, rejetant l'argumentation de la société ATAC qui contestait cette évaluation. La Cour observe qu'en fonction des caractéristiques du département du Cantal, qui "compte parmi les six départements français les moins peuplés (148 162 habitants au 1er janvier 2010, soit 0,2 % de la population métropolitaine)", il est "erroné de venir prétendre que le magasin n'aurait qu'une simple vocation de proximité et ne posséderait qu'une zone de chalandise purement locale".
Concernant les correctifs à appliquer, la Cour valide l'abattement de 10% proposé par l'expert judiciaire. Elle considère que cet abattement est justifié par les clauses du bail qui "ont pour effet de faire supporter au preneur non seulement les grosses réparations énoncées par l'article 606 du Code civil mais encore le remboursement des primes d'assurance, et des impôts fonciers au bailleur tandis que le preneur dispose de la faculté de louer tout ou partie des locaux sans se pourvoir de l'autorisation expresse du bailleur".
La Cour rejette les arguments de l'indivision de S.-V. contestant cet abattement, notamment celui relatif à la délégation du bénéfice de l'indemnité d'assurance versée suite au sinistre de 2014, cette circonstance étant "postérieure à la date à prendre en considération pour fixer la valeur locative".
En définitive, la Cour fixe le loyer commercial selon le calcul suivant : (3 786 m² pondérés × 115 euros) - (valeur locative × 0,10), soit 435 390 - 43 539 = 391 851 euros hors charges et hors taxes à compter du 1er juillet 2010.Cette décision illustre parfaitement la complexité technique de l'évaluation des grandes surfaces commerciales et confirme l'importance d'une approche méthodologique rigoureuse respectant les critères légaux de détermination de la valeur locative, tout en tenant compte des spécificités locales et contractuelles.