Repères – Bail commercial – Renouvellement – Méthode hôtelière – Méthode actualisée – Méthode classique – Hôtel deux étoiles – Versailles – 78000
Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 12 septembre 2019, n° 18/00628
La Cour d'appel de Versailles a rendu le 12 septembre 2019 un arrêt significatif en matière de renouvellement de bail commercial hôtelier, opposant la SARL CR Hôtellerie aux consorts D.-L. Cette décision illustre parfaitement les conditions d'application des méthodes d'évaluation hôtelière et tranche la question de l'applicabilité temporelle de la méthode hôtelière actualisée par rapport à la méthode classique pour un bail renouvelé en 2013.
L'affaire concernait l’expertise immobilière d’un hôtel deux étoiles, avec un bail commercial consenti le 15 juillet 1987, dont le loyer avait été fixé à 78 650 euros lors du précédent renouvellement en 2004. Suite au congé avec offre de renouvellement du 26 mars 2013 pour le 1er octobre 2013, les bailleurs avaient sollicité la fixation du nouveau loyer à 150 000 euros, tandis que le locataire demandait 85 000 euros. Le tribunal de grande instance de Nanterre avait fixé le loyer à 122 000 euros en se fondant sur la méthode hôtelière actualisée, décision contre laquelle la SARL CR Hôtellerie avait interjeté appel.
1 – Sur l'applicabilité de la méthode hôtelière actualisée et le rejet de la demande de nouvelle expertise
La SARL CR Hôtellerie soutenait que « le choix de l'expert judiciaire de retenir la méthode hôtelière actualisée pour évaluer la valeur locative du bien dont le bail était renouvelé au 1er octobre 2013 lui a été défavorable ». Elle arguait que « cette méthode diffusée le 1er octobre 2016 ne pouvait être applicable à l'espèce s'agissant d'un bail dont la date de renouvellement était largement antérieure » et produisait « un mail du 19 février 2018 du président de la compagnie des experts qui confirme ses dires ».
La Cour rappelle que l'article R 145-10 du code de commerce dispose que « le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut, par dérogation aux articles L 145-33 du code de commerce et R 145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée ». Elle précise qu'« en matière de location hôtelière s'agissant de baux en vue d'une seule utilisation, il convient pour évaluer le prix du bail de se référer aux usages observés dans la branche d'activité considérée ; des méthodes d'évaluation ont été établies, s'agissant de la méthode dite 'classique' et de la méthode 'actualisée' plus récente et diffusée en 2016 ».
La Cour adopte une position pragmatique en considérant qu'« il s'agit de recommandations édictées par la profession dont l'application dans le temps ne fait pas l'objet de prescriptions ». Elle souligne que « les parties sont en désaccord sur la méthode à appliquer mais il appartient tant au tribunal qu'à la cour d'arbitrer en fonction des différents éléments qui leur sont soumis, ceux-ci se référant aux usages observés dans la branche d'activité concernée qu'ils relèvent d'une méthode ou d'une autre ». Concernant l'avis du président de la compagnie des experts, la Cour considère qu'il « n'est pas déterminant pour écarter la méthode actualisée d'autant que le président de la compagnie des experts dans son courrier en réponse prend le soin de modérer son propos en soulignant que les deux méthodes d'évaluation sont parfois sollicitées ».
2 – Sur la fixation de la valeur locative selon la méthode hôtelière actualisée
La Cour procède à une analyse détaillée des différents paramètres de la méthode hôtelière actualisée. Sur la recette hébergement praticable, elle retient « une moyenne du coût de la chambre en fonction des statistiques produites de 61,80 euros soit 60 euros en moyenne » et « le nombre de chambres au regard des propres déclarations de la société CR Hôtellerie dans son mémoire introductif de 43 chambres mises à la dispositions du public ». Elle fixe donc « la recette hébergement pratiquable sur une année de 60 euros HT x 43 x 365 = 941700 euros ».
Sur l'abattement pour commissions, la Cour confirme « le taux de 5 % fixé par l'expert » considérant que la société « sollicite un abattement qui serait de 15% pour commissions supérieur à celui retenu par l'expert sans pour autant qu'elle n'en justifie ». Sur le taux d'occupation, elle maintient « le taux tel que fixé à 70 % par le premier juge ». Sur le taux sur recettes, la Cour confirme le taux de 18%, considérant que « le taux sur recettes est une moyenne fixée au regard des usages de la profession qu'il convient de retenir faute d'éléments suffisamment pertinents pour le voir réduire ».
Concernant les travaux invoqués par le locataire, la Cour confirme « le rejet de la demande d'abattement dans la mesure où la société CR Hôtellerie ne rapporte pas la preuve de travaux qui auraient été exécutés au cours du bail expiré, ceux invoqués étant postérieurs à la date de renouvellement du bail du 1er octobre 2013 d'une part, les travaux de ravalement d'autre part ne relevant pas du régime spécifique de l'accession en matière d'hôtellerie ». La Cour fixe finalement « la valeur locative nette à la somme annuelle de 113000 euros HT et HC concernant le bail renouvelé au 1er octobre 2013 », infirmant partiellement le jugement qui avait retenu 122 000 euros.
Cette décision constitue un arrêt de référence pour l'application des méthodes d'évaluation hôtelière, démontrant que le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation dans le choix de la méthode la plus appropriée, indépendamment des recommandations professionnelles sur leur date d'application, et que la méthode actualisée peut être retenue même pour des baux renouvelés antérieurement à sa diffusion officielle, dès lors qu'elle reflète les usages de la profession.