Repères – Bail commercial – Hôtel – Méthode hôtelière – Fixation du loyer – Abattements pour clauses exorbitantes – Paris – 75009
Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 4 juillet 2018, n° 16/18961
La Cour d'appel de Paris a rendu le 4 juillet 2018 un arrêt remarquable en matière de fixation du loyer des baux commerciaux hôteliers, infirmant partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 2 septembre 2016. Cette décision, opposant la SCI SAF à la SA HÔTEL D'ATHÈNES, illustre l'application rigoureuse de la méthode hôtelière et l'importance des abattements pour clauses exorbitantes dans l'évaluation des baux hôteliers.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 10 juillet 2003 pour des locaux à usage d'hôtel situés à Paris, renouvelé au 1er octobre 2012. Une expertise judiciaire avait évalué la valeur locative à 170 000 euros, mais le tribunal de première instance avait fixé le loyer à 155 400 euros. La bailleresse contestait cette décision et sollicitait une revalorisation substantielle du loyer.
1 – Sur l'application de la méthode hôtelière et la détermination des paramètres d'évaluation
La Cour rappelle que « les parties s'accordent à reconnaître le caractère monovalent des locaux et l'application de la 'méthode hôtelière' afin de déterminer le prix du loyer du bail renouvelé conformément à l'article R 145-10 du code de commerce ». Cette méthode « consiste à fixer la valeur locative par référence à la recette théorique globale hors taxes, à laquelle sont appliqués successivement et s'il y a lieu : un abattement pour segmentation de la clientèle, un taux d'occupation, un taux sur recettes, un abattement pour tenir compte de clauses exorbitantes du droit commun ».
Concernant la recette théorique, la Cour confirme le montant de 2 523 813 euros retenu par l'expert, malgré les contestations du bailleur sur la répartition saisonnière. La bailleresse contestait « la répartition de la durée des saisons haute et basse déclarée par l'exploitant et retenue par l'expert judiciaire soit une haute saison de 5 mois (avril, mai, juin, septembre et octobre) et une basse saison de 7 mois ». La Cour écarte cette contestation en relevant que « s'agissant de la clientèle d'affaire, la proximité de l'hôtel avec une grande gare, en l'espèce la gare Saint Lazare, a pour effet une augmentation de la fréquentation de l'hôtel, lors des salons », mais que « l'hôtel a également et notamment les weeks end une clientèle de touristes qui occupent les chambres doubles et les chambres standards ».
La Cour confirme le taux d'occupation de 83 % retenu en première instance, écartant les prétentions de la locataire qui sollicitait un taux de 80 %. Elle justifie cette décision par « l'implantation géographique favorable de cet hôtel proche d'une gare, des quartiers d'affaires et des quartiers touristiques de la capitale », tout en tenant compte « du caractère cyclique de l'activité hôtelière ». Concernant le taux sur recettes, la Cour retient un taux de 14 %, justifié par « une situation géographique favorable à la catégorie hôtelière considérée, s'agissant d'un excellent emplacement central et bien desservi » et « de locaux, qui étant donné leur configuration, permettent une exploitation rationnelle et conforme à leur destination ».
2 – Sur les abattements et clauses exorbitantes
La Cour confirme l'abattement de 20 % pour remises, relevant que « l'hôtelier a précisé à l'expert judiciaire de Paris, qu'il travaille notamment avec des tours opérateurs auxquels il consent des réductions ; des sites internet de réservation, auxquels il reverse des commissions de réservation comprises entre 15 et 20% du prix de la nuitée ». Elle souligne que « le preneur ayant justifié des réductions qu'il consent afin d'obtenir un excellent taux de remplissage de l'établissement », l'abattement de 20 % est justifié.
La Cour maintient l'abattement de 25 % pour travaux retenu en première instance, notant que « l'enveloppe globale des travaux retenue par l'expert s'est élevée à la somme de 1.000.000euros environ » et que « pour une partie, les travaux exécutés pour le compte de la société locataire, dont elle a justifié, sont anciens et ont donc été amortis ».
La Cour apporte une innovation majeure en appliquant un abattement supplémentaire de 15 % pour clauses exorbitantes, au-delà des charges d'impôt foncier et d'assurance. Elle relève que « le bail contient les clauses suivantes, à la charge du preneur : de ne pouvoir réclamer, pendant toute la durée du bail ou sa prorogation, des réparations, transformations ou additions de quelque nature qu'elles soient, même rendues nécessaires par la force majeure, y compris celles prévues à l'article 606 du code civil ». La Cour souligne que « le transfert des charges du bailleur sur le preneur opéré par le bail est très important puisque le preneur doit supporter non seulement les grosses réparations de l'article 606 du code civil, normalement à la charge du bailleur, mais également les travaux ordonnés par l'autorité administrative ».
Au final, la Cour fixe « à 146 755,27 euros en principal par an à compter du 1er octobre 2012 le loyer du bail renouvelé », soit un montant très inférieur aux prétentions de la bailleresse (250 000 euros) et même au montant fixé en première instance (155 400 euros). Cet arrêt constitue une illustration de l'application de la méthode hôtelière et de la prise en compte des clauses exorbitantes dans l'évaluation des baux commerciaux.