Repères – Bail commercial – Renouvellement – Déplafonnement – Modification des facteurs locaux de commercialité – Supermarché – Paris 75011
Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 11 avril 2018, n° 16/15581
La Cour d'appel de Paris a rendu le 11 avril 2018 un arrêt significatif en matière de renouvellement de bail commercial, opposant la SARL S. à la SNC LIDL. Cette décision illustre parfaitement les conditions strictes d'appréciation de la modification notable des facteurs locaux de commercialité pour les commerces de grande distribution alimentaire, particulièrement dans un contexte de faible évolution démographique et de construction limitée de logements neufs.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 15 décembre 1998 portant sur un local commercial situé dans le 11e arrondissement de Paris, affecté à l'exploitation d'un supermarché sous l'enseigne LIDL. Par acte du 7 décembre 2009, LIDL avait sollicité le renouvellement du bail à effet du 1er janvier 2010. Face au silence du bailleur, le bail s'était renouvelé de plein droit. Par congé du 28 juin 2011, la SARL S. avait proposé un loyer de 227 500 euros. Le tribunal de grande instance de Paris avait rejeté le déplafonnement et fixé le loyer à 118 570 euros, décision contre laquelle la bailleresse avait interjeté appel.
1 – Sur l'appréciation de la modification notable des facteurs locaux de commercialité et l'analyse démographique
La bailleresse soutenait que « les facteurs locaux de commercialité ont évolué favorablement en raison de la construction de logements ; que des immeubles ont été réhabilités entraînant l'installation d'une nouvelle population au pouvoir d'achat plus élevé ». Ces éléments étaient contestés par LIDL qui estimait « que pendant la durée du bail expiré la population du 11e arrondissement n'a augmenté que de 2,44%, ce qui est très faible par rapport à Paris dans son ensemble ».
La Cour rappelle le principe fondamental selon lequel « il incombe à la SARL S. qui s'en prévaut de démontrer l'évolution notable des facteurs locaux de commercialité pendant la durée du bail expiré pour le commerce exploité par la société LIDL ». Elle cite l'article R.145-6 du Code de commerce précisant que « les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut représenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent de façon durable ou provisoire ».
S'agissant des constructions nouvelles, la Cour constate qu'« il ressort de l'expertise judiciaire que pendant la durée du bail expiré, il a été construit 167 logements neufs sur 13 179 m² et 187 m² de commerces ». Elle écarte plusieurs éléments : « l'ensemble immobilier de 6 petits immeubles dont se prévaut la SARL S. a été livré en septembre 2013 soit postérieurement au bail expiré de sorte qu'il ne saurait en être tenu compte ». Concernant l'impact des 167 logements neufs, elle considère que cette « évolution n'est pas susceptible d'entraîner une modification notable des facteurs locaux de commercialité car elle n'entraîne pas une augmentation significative de la chalandise pour le supermarché ».
La Cour procède à une analyse approfondie des données démographiques, relevant que « la population du 11e arrondissement n'a augmenté que de 2,44% entre 1999 et 2009 et la progression du nombre de logements sur l'ensemble de l'arrondissement au cours de cette même période est peu significative puisqu'elle s'élève à 1462 logements en 10 ans ». Elle précise que « l'augmentation de la population du 11e arrondissement est de surcroît inférieure à celle de Paris (+ 5,12%) ». Elle constate également que « la SARL S. ne démontre pas une évolution du pouvoir d'achat de la population pendant la durée du bail expiré ». En conséquence, « la SARL S. ne rapporte pas la preuve de l'évolution notable des facteurs locaux de commercialité » et sera « déboutée de sa demande de voir le loyer déplafonné ».
2 – Sur la détermination de la valeur locative et les modalités de calcul
S'agissant de la valeur locative, « l'expert judiciaire à Paris a proposé de fixer la valeur locative, au 1er janvier 2010 à la somme annuelle de 118 570 euros en principal, après abattement forfaitaire de 4% ». L'appelante contestait « la pondération faite par l'expert judiciaire et elle sollicite un prix unitaire de 250 euros/m² compte tenu des éléments de comparaison, de l'importance de la surface de vente des locaux qui sont adaptés à leur destination, de la rareté d'une telle surface de vente dans Paris et de la situation des locaux dans un quartier à forte densité de population ».
Concernant les coefficients de pondération, la Cour relève que « la SARL S. conteste le coefficient de 0,30 appliqué par l'expert judiciaire à la surface réelle de la partie réserve (146m²) et locaux administratifs et sociaux (24,30 m²) qu'elle estime devoir être de 0,50 ». Cependant, « l'expert judiciaire a pondéré les locaux par application de la charte de l'expertise immobilière et le coefficient ainsi proposé est conforme à l'usage et justifié par la configuration des locaux et de l'utilité qu'ils présentent pour l'activité ».
La Cour constate que « la SARL S. ne produit pas les références à l'appui des valeurs locatives nouvelles qu'elle invoque afin de voir fixer la valeur locative à la somme de 250/m², ni ne justifie de la rareté commerciale dans Paris de la surface donnée à bail pour l'activité de supermarché ». Elle note que « l'expert judiciaire a recensé des termes de comparaison pour des supermarchés sous enseigne LIDL, FRANPRIX, DIA, CARREFOUR MARKET et SHOPI. Les renouvellements judiciaires s'établissent entre 230 euros et 300 euros/m² et les renouvellements amiables entre 200 et 250 euros/m² ».
La Cour examine la question de l'abattement lié aux clauses particulières du bail, constatant que « le bail met à la charge de la société LIDL la taxe foncière et l'assurance de l'immeuble, ce transfert de charges constitue une clause exorbitante de droit commun ». Elle précise qu'« il n'est pas établi par le bailleur qu'il s'agirait d'une clause usuelle pour un supermarché de quartier. Un abattement doit donc être retenu ». Le calcul final s'établit ainsi : « 230 euros x 537m²P = 123 510 euros - 4 940 euros représentant l'abattement de 4%, soit la somme de 118 570 euros au 1er janvier 2010 ». La Cour conclut que « la valeur locative étant inférieure au montant du loyer plafonné, le jugement entrepris qui a fixé le montant annuel du loyer renouvelé au montant de cette valeur, soit à la somme de 118 570 euros au 1er janvier 2010, sera confirmé ».Cette décision constitue un arrêt de référence pour l'appréciation de la modification des facteurs locaux de commercialité dans le secteur de la grande distribution alimentaire, illustrant la nécessité d'un lien significatif entre l’évolution démographique et immobilière pour justifier un déplafonnement, particulièrement dans les arrondissements parisiens à faible croissance démographique.