Repères – Bail commercial – Renouvellement – Déplafonnement – Modification des facteurs locaux de commercialité – Travaux de voirie – Mougins – 06085
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 1re et 7e chambres réunies, 4 juin 2020, n° 17/11868
La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a rendu le 4 juin 2020 un arrêt remarquable en matière de déplafonnement des loyers commerciaux, infirmant le jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 6 juin 2017. Cette décision, opposant la SCI ESPACE MOUGINS à la SARL ALDI MARCHÉ CAVAILLON, illustre parfaitement les conditions d'application du déplafonnement prévu à l'article L. 145-34 du Code de commerce en cas de modification notable des facteurs locaux de commercialité.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 27 juillet 1994 pour des locaux situés dans un centre commercial à Mougins, exploités par ALDI sous forme de supermarché. Le bail avait été renouvelé en 2003, puis la locataire avait sollicité un nouveau renouvellement au 1er juin 2013 moyennant un loyer de 120 000 euros HT. Une expertise judiciaire avait évalué la valeur locative à 183 500 euros, soit un montant supérieur au loyer plafonné selon la variation indiciaire (142 815 euros). Le tribunal de première instance avait refusé le déplafonnement et maintenu le loyer au montant plafonné. La bailleresse contestait cette décision en invoquant des modifications des facteurs locaux de commercialité.
1 – Sur l'évaluation de la valeur locative et la méthode d'expertise
La Cour confirme l'analyse de l'expert judiciaire concernant l'évaluation de la valeur locative. Les locaux se composent « d'un local 'ALDI MARCHE' d'une surface totale utile de 763,80 m² [...] pondérée avec justesse par l'expert qui s'est appuyé sur la charte de l'expertise en évaluation immobilière, pour aboutir à une surface pondérée arrondie de 680 m² » et « d'un autre local, sous-loué par le preneur (exploité par la boulangerie 'Aux délices de Mougins') d'une surface totale utile de 99,35 m² [...] pondérée avec justesse par l'expert pour aboutir à une surface pondérée arrondie de 72 m² ».
L'expert immobilier de Nice avait retenu une méthode comparative en s'appuyant sur « sept éléments de référence [...] tout à fait pertinents puisqu'il s'agit de locaux situés au sein du même centre commercial, ce dernier constituant une unité économique ». La Cour approuve cette approche : « La méthode utilisée par l'expert est opportune et sera retenue : elle consiste à reprendre les baux des autres boutiques en leur affectant des coefficients de pondération justifiés, à indiquer que les prix pratiqués se situent entre 258 euros et 387 euros le m² annuel ».
L'expert avait différencié l'évaluation des deux locaux en « évaluant à la somme de 220 euros le m² annuel la valeur locative des locaux exploités sous l'enseigne 'ALDI MARCHE', après avoir retenu que la surface louée est importante (680 m² pondérés) et très supérieure à l'ensemble des éléments de référence et que les locaux sont en retrait de la route » et « évaluant à la somme de 350 euros le m² annuel le local sous-loué par la SARL ALDI MARCHE CAVAILLON d'une surface pondérée de 72 m² après avoir tenu la situation en pignon du magasin et sa surface par rapport aux éléments de référence ».
Concernant les majorations, la Cour valide celle liée à la sous-location : « C'est également avec pertinence que l'expert a estimé que l'autorisation partielle de sous-location justifiait une majoration de 5% de la valeur locative, puisqu'il s'agit d'une plus-value donnée au fonds de commerce ». En revanche, elle écarte la majoration demandée au titre de la clause de non-concurrence, estimant qu'elle « ne permet pas d'affecter à la valeur locative des locaux une majoration, puisqu'elle est très peu restrictive, surtout eu égard de la localisation des locaux loués ».
2 – Sur le déplafonnement et la modification des facteurs locaux de commercialité
La Cour développe une analyse approfondie des conditions du déplafonnement. Elle rappelle que « La charge de la preuve de l'existence, avant le premier juin 2013, de modifications notables des facteurs locaux de commercialité ayant une incidence favorable sur le commerce exploité, incombe à la SCI ESPACE MOUGINS ».
L'élément déterminant réside dans les travaux de voirie réalisés entre 2009 et 2010. La Cour constate qu'« Il ressort des pièces produites par la SCI ESPACE MOUGINS qu'en 2009-2010, ont été effectués des travaux de sécurisation sur la voie jouxtant le centre commercial, consistant notamment en la création d'ilôts centraux et de feux tricolores sur le [...] ». Ces travaux sont « établis par un procès-verbal de constat établi le 14 octobre 2014 et par un rapport d'expertise amiable, versé au débat, qui a pu faire l'objet d'une discussion entre les parties ».
L'impact de ces travaux est clairement démontré : « Ce rapport permet de constater qu'avant ces travaux, l'accès au centre commercial était possible uniquement dans le sens est-ouest du [...] et que la clientèle potentielle venant de la partie ouest était obligée de faire un demi-tour représentant une boucle 1,2 kilomètres pour y accéder, alors même qu'il existe d'autres supermarchés aux alentours ».
La Cour en tire les conséquences : « Les travaux de voirie ont permis aux véhicules, venant de l'ouest, d'accéder directement au centre commercial, sans avoir à effectuer un détour d'1,2 kms. Ils permettent donc la captation d'une nouvelle clientèle, sur un axe fréquenté, ce qui présente un intérêt sur l'activité du preneur ». Elle conclut que « Ces travaux constituent une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant une incidence favorable sur le commerce exercé ».
Cette analyse illustre parfaitement les critères jurisprudentiels du déplafonnement : la modification doit être notable, concerner les facteurs locaux de commercialité, avoir une incidence favorable sur le commerce exploité, et être antérieure à la prise d'effet du bail renouvelé. L'amélioration de l'accessibilité constitue un facteur classique de déplafonnement, particulièrement lorsqu'elle facilite concrètement l'accès à la clientèle et permet de capter de nouveaux chalands.
En conséquence, la Cour infirme le jugement de première instance et « FIXE à la somme de 183.200 euros le montant de la valeur locative des locaux loués par la SCI ESPACE MOUGINS à la SARL ALDI MARCHE CAVAILLON », soit un montant correspondant à la valeur locative expertisée, très supérieur au loyer plafonné de 142 815 euros initialement retenu.