Repères – Bail commercial – Bureaux – Clauses restrictives – Abattement pour impossibilité de sous-location – Marseille – 13006
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 11e chambre A, 1er février 2018, n° 14/11259
La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a rendu le 1er février 2018 un arrêt instructif en matière de fixation du loyer des baux commerciaux de bureaux, réformant partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Marseille du 10 mars 2014. Cette décision, opposant la SA L'ABEILLE à la SARL LOGECIL, illustre l'application nuancée des critères de l'article L 145-33 du code de commerce et la prise en compte sélective des clauses restrictives dans l'évaluation de la valeur locative.
L'affaire concernait une expertise immobilière à Marseille avec des locaux à usage de bureaux situés dans le 6ème arrondissement, quartier de la Préfecture, avec un bail commercial conclu le 20 mai 1986. Le bailleur avait proposé un renouvellement à 163 000 euros annuels, tandis que le tribunal de première instance avait fixé le loyer à 124 457,85 euros. En appel, le bailleur réclamait 146 380 euros et la locataire sollicitait une réduction à 111 528 euros.
1 – Sur l'évaluation de la valeur locative et les facteurs de commercialité
La Cour procède à une analyse méthodique des critères légaux de fixation du loyer. Concernant les caractéristiques des locaux, elle retient les constatations de l'expert judiciaire établissant « de manière objective la surface utile des locaux commerciaux » à 987 m², soit « entresol : 238 m², 1er étage niveau bas : 252 m², 1er étage niveau haut : 192 m², 3ème étage : 252 m², 5ème étage : 53 m² ». Après pondération tenant compte « de l'affectation des diverses parties du local », la surface pondérée est fixée à 929,40 m².
S'agissant des facteurs locaux de commercialité, la Cour relève que « les locaux considérés bénéficient d'un bon emplacement » et recense les éléments favorables : « situation dans un quartier d'affaires avec de nombreux locaux à usage de bureaux, présence d'un bureau de Poste et de diverses administrations, passage de diverses lignes de bus, station de métro située à proximité immédiate, facilité de stationnement à raison de la présence de deux parkings publics, proximité des principaux axes et voies de communication ».
La Cour note également l'évolution démographique positive, précisant que « du fait de leur situation centrale les locaux en cause ont pu bénéficier du regain de vitalité commerciale s'inscrivant dans les retombées de la restructuration du centre ville » et que « depuis le recensement de 1999 l'ensemble de la commune a vu sa population augmenter de 6,99 % étant précisé que les quartiers de la Préfecture et du Palais de justice ont connu une augmentation de population de 3,21 % ».
Concernant les prix de référence, la Cour valide l'analyse de l'expert qui « affirme que le prix du m² utile sur lequel les parties étaient d'accord en 2010, est de 150 euros au m² », retenant « ce prix là à juste titre pour fixer la valeur locative des locaux considérés ». Elle établit ainsi la valeur locative de base à « 150 euros x 929,40 euros = 139 410 euros ».
2 – Sur l'application sélective des abattements pour clauses restrictives
La question centrale de l'arrêt concerne l'impact des clauses particulières du bail sur la valeur locative. La locataire invoquait plusieurs clauses qu'elle qualifiait d'« inhabituelles et exorbitantes » : « le locataire doit supporter l'impôt foncier, il ne peut sous louer ni céder son bail, si ce n'est avec son successeur dans son propre commerce et avec l'autorisation écrite du bailleur, toutes les améliorations faites par le preneur aux lieux loués seront acquises au bailleur sans indemnité, le locataire doit supporter les travaux d'entretien et également tous les travaux fonciers ».
Concernant l'impôt foncier, la Cour adopte une approche pragmatique fondée sur les usages locaux. Elle relève que « l'expert judiciaire relève de manière symptomatique qu'il s'agit là d'un usage local étant précisé que dans ce secteur géographique tous les baux commerciaux mettent à la charge du preneur le remboursement de cet impôt foncier ». L'expert ayant noté « que tous les baux des locaux retenus en références de loyer mettent cet impôt à la charge du preneur et que les valeurs locatives intègrent ce transfert de charge », la Cour considère qu'« on ne saurait défalquer deux fois un telle charge afférente au paiement de l'impôt foncier par le locataire commercial en prononçant un abattement afférent à cette charge foncière ».
En revanche, la Cour retient un abattement pour les restrictions de sous-location et de cession. Elle considère qu'« au regard de l'impossibilité de toute sous location (hors CIL et SCI du groupe) il convient de minorer le prix du bail en prononçant un abattement à hauteur de 5 % ». Cette décision reconnaît que les restrictions à la libre disposition du droit au bail constituent une contrainte justifiant une réduction de la valeur locative.
La Cour fixe donc la valeur locative finale à « 139 410 euros - 6 932 euros (soit 5% du montant du bail) = 132 478 euros », soit un montant supérieur à celui retenu en première instance mais inférieur aux prétentions du bailleur.Cet arrêt illustre parfaitement l'approche différenciée que doivent adopter les juges face aux clauses particulières des baux commerciaux : si certaines clauses correspondent aux usages locaux et ne justifient pas d'abattement, d'autres, limitant la liberté contractuelle du preneur, peuvent légitimement donner lieu à une réduction de la valeur locative. La décision confirme également l'importance de l'expertise judiciaire dans l'évaluation précise des facteurs de commercialité et des références de marché.