Repères – Bail commercial – Renouvellement – Charge de la preuve – Valeur locative inférieure au loyer plafonné – Toulouse – 31000
Cour d'appel de Toulouse, 2e chambre, 11 décembre 2019, n° 17/04664
La Cour d'appel de Toulouse a rendu le 11 décembre 2019 un arrêt fondamental en matière de renouvellement de bail commercial, opposant la SAS Marionnaud Lafayette aux époux G. Cette décision clarifie de manière définitive la charge de la preuve lorsque le locataire sollicite une diminution du loyer de renouvellement et illustre parfaitement la méthodologie d'évaluation de la valeur locative d'un local commercial de prestige en centre-ville.
L'affaire trouve son origine dans un bail commercial conclu le 9 mars 1989 portant sur un immeuble entier à usage commercial composé de deux corps de bâtiment séparés par une cour d'une superficie totale de 190 m² situé en centre-ville de Toulouse. Le bail, destiné à tous commerces, avait été renouvelé par avenant du 28 mars 2007 pour neuf ans moyennant un loyer annuel de 102 375,24 euros HT HC, indexé sur l'ILC depuis 2008 et atteignant 128 186,88 euros en fin de bail. Par acte d'huissier du 7 janvier 2016, la société locataire avait sollicité le renouvellement du bail en réclamant une diminution du loyer à 89 000 euros, estimant que la valeur locative était inférieure au loyer contractuel. Le tribunal de grande instance de Toulouse avait débouté Marionnaud de l'ensemble de ses demandes et maintenu le loyer à 128 186,88 euros, décision contre laquelle la société avait interjeté appel en réclamant 115 000 euros.
1 – Sur la charge de la preuve et l'obligation de vérification de la valeur locative
La première question juridique fondamentale portait sur la charge de la preuve lorsque le locataire demande une diminution du loyer de renouvellement. Le tribunal de grande instance avait considéré qu'il appartenait au locataire de prouver une modification à la baisse de la valeur locative et, faute d'éléments probants, avait fixé le loyer au montant résultant de la variation indiciaire.
La Cour d'appel censure cette approche et pose un principe clair : « Si la valeur locative est inférieure au plafonnement, le loyer doit être fixé à la valeur locative même si la valeur locative est inférieure au loyer du bail expiré puisque le bail renouvelé est un nouveau bail ». Elle précise que « le plafond déterminant un montant maximal, il appartient au juge saisi par le preneur d'une demande de fixation du loyer de renouvellement à la baisse, de rechercher, au besoin d'office, si la valeur locative ne lui est pas inférieure ». La Cour ajoute que « dans ce cas le locataire n'a aucune preuve particulière à rapporter et l'expertise est de droit puisque le juge a l'obligation de vérifier le montant de la valeur locative ».
Cette solution constitue un revirement par rapport à la position du premier juge et clarifie définitivement que lorsque le locataire invoque une valeur locative inférieure au loyer plafonné, le juge doit vérifier cette allégation, au besoin d'office, sans que le locataire ait à rapporter une preuve particulière de la diminution de la valeur locative. La Cour infirme donc « la décision en ce qu'elle a débouté la société MARIONNAUD LAFAYETTE de sa demande, sans avoir vérifié la valeur locative des locaux à la date de renouvellement dont elle soutenait qu'elle avait diminué au cours du bail expiré ».
2 – Sur l'évaluation de la valeur locative et l'application des correctifs
La seconde partie de l'arrêt aborde la détermination concrète de la valeur locative à partir des deux rapports d'expertise amiable produits par les parties. La Cour considère que ces rapports « qui ont été soumis à la libre contradiction des parties, permettent à la cour de statuer et de donner une issue au litige sans qu'il soit utile d'avoir recours à une expertise judiciaire ».
S'agissant de la surface pondérée, la Cour tranche le différend entre l'expert du locataire (M. O.) qui proposait 152,95 m² et l'expert des bailleurs (Mme P.) qui proposait 160,82 m². Elle retient la proposition des bailleurs de faire « une moyenne des pondérations proposées par les deux experts soit 156,88 m² », considérant que « l'expertise de Mme P. qui a pris connaissance des plans établis à l'occasion des travaux entrepris par la société locataire et travaillé sur les plans d'architecte est plus précise ».
Pour la valeur locative unitaire, la Cour valide la proposition de 880 euros/m²/an de l'expert du locataire, relevant que « ses propositions n'appellent aucune critique de la part des bailleurs et sont cohérentes avec les prix couramment pratiqués dans le voisinage ». Elle souligne que l'emplacement « est un emplacement privilégié classé en catégorie Prime 1 qui accueille des enseignes commerciales de très bonne notoriété » avec une desserte optimale « à la fois par les bus et le métro, avec des parkings publics souterrains à proximité ».
La Cour applique ensuite différents correctifs selon l'article R. 145-8 du code de commerce. Elle retient un abattement de 15% proposé par l'expert pour tenir compte « de l'importance des travaux de réaménagement effectués par le preneur à ses frais exclusifs en 2012 » (189 700 euros) et du transfert de la charge des impôts fonciers. Cependant, elle compense partiellement cet abattement en tenant compte « des clauses favorables du bail pour les avantages accordés au locataire - les clauses "tous commerces" et de cession libre ». Au final, elle ramène « le correctif final à 10 % soit un prix unitaire de 792 euros ».
La Cour valide sa méthode en se référant à une décision antérieure concernant « un local voisin, également exploité par la société MARIONNAUD LAFAYETTE » dont « le loyer de renouvellement à la date du 1er avril 2015 a été déterminé avant correction à 700 euros par mois pour une surface moindre et fixé au final à 800 euros ».
Au final, la valeur locative s'établit à 156,88 x 792 = 124 248,96 euros, soit un montant inférieur au loyer pratiqué de 128 186,88 euros, justifiant la diminution demandée par le locataire.
Cette décision constitue un arrêt de principe sur la charge de la preuve en matière de renouvellement de bail commercial et illustre parfaitement l'application équilibrée des correctifs de valeur locative en tenant compte tant des clauses défavorables que favorables au locataire.