Repères – Fixation du loyer de renouvellement – Surface de vente – Pondération – Pau – 64000
Cour d'appel de Pau, 2e chambre, 1re section, 9 septembre 2020, n° 19/00730
La Cour d'appel de Pau a rendu, le 9 septembre 2020, un arrêt en matière de fixation du loyer de renouvellement de bail commercial, dans un litige opposant la SAS DAX MEUBLES à la SAS BESSON CHAUSSURES. Cette décision traite de la détermination des surfaces utiles à prendre en considération pour l'évaluation du loyer et de l'application des coefficients de pondération selon la Charte de l'Expertise Immobilière.
L'affaire concerne l'expertise d'un local commercial situés à Dax, avec un bail commercial initialement conclu le 30 septembre 1994 pour prendre effet le 1er février 1995 moyennant un loyer annuel de 1 300 000 francs hors taxe et hors charges. Par avenant du 11 avril 1997, le loyer a été ramené à 1 000 000 francs hors taxe à compter du 1er février 1998. Le bail a été renouvelé le 3 novembre 2004 rétroactivement au 1er février 2004 pour se terminer le 31 janvier 2013, le loyer étant alors fixé à 173 506,56 euros hors taxe et hors charges.
Par exploit du 22 novembre 2012, la SAS BESSON CHAUSSURES a demandé le renouvellement de son bail à compter du 1er février 2013. Le 31 janvier 2013, le conseil de la SAS DAX MEUBLES a accepté le renouvellement moyennant un loyer indexé de 237 885,86 euros hors taxe par an. En réponse, par lettre du 11 février 2013, la SAS BESSON CHAUSSURES a offert un loyer annuel de 188 640 euros hors taxe, ce qui a été refusé par le bailleur.
Après notification d'un mémoire préalable le 19 janvier 2015, la SAS BESSON CHAUSSURES a assigné la SAS DAX MEUBLES devant le juge des loyers commerciaux aux fins de faire fixer le montant du loyer du bail renouvelé. Par jugement du 13 septembre 2017, le juge a ordonné une expertise judiciaire confiée à Marc L. Le jugement du 20 février 2019 a fixé le loyer au 1er février 2013 à 185 061,63 euros hors taxe et hors charges, débouté la SAS DAX MEUBLES de sa demande en nullité du rapport d'expertise et condamné cette dernière aux dépens et à 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
1 – Sur la nullité du rapport d'expertise judiciaire
La SAS DAX MEUBLES poursuivait la nullité du rapport d'expertise de M L. au motif que celui-ci, après avoir adressé aux parties un pré-rapport le 26 février 2018 leur impartissant un délai jusqu'au 28 mars 2018 à 10h00 pour la réception des dires, avait tenu compte d'observations qui lui avaient été adressées par la SAS BESSON CHAUSSURES le 27 mars 2018 à 19h39, en refusant le délai complémentaire sollicité par la SAS DAX MEUBLES pour y répondre et pour obtenir communication d'une référence invoquée par l'expert dans son pré-rapport.
La Cour rappelle que l'article 276 du code de procédure civile dispose que « l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent. Toutefois, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l'expiration de ce délai, à moins qu'il n'existe une cause grave et dûment justifiée ». Elle précise que « la seule exigence légale qui en résulte est celle du respect du principe de la contradiction au terme duquel l'expert doit mettre chacune des parties en mesure de s'exprimer suffisamment et utilement en réponse à son pré-rapport ».
La Cour observe qu'« en l'espèce, l'expert a laissé aux parties en présence un mois pour répondre à son pré-rapport diffusé en pièce jointe à un courriel le 26 février 2018 à 9h38 » et qu'il « a annexé chacun de ses dires à son rapport et il y a répondu de manière précise et circonstanciée ». Elle relève que « l'expert n'est chargé que d'émettre un avis sur les facteurs permettant de déterminer la valeur locative d'un immeuble, leur incidence sur sa fixation relevant du pouvoir souverain des juges du fond ». S'agissant de la Charte de l'Expertise Immobilière, elle considère qu'« il s'agit d'un document public et accessible à tous, notamment par une simple recherche sur Internet, et dont l'appelante pouvait directement prendre connaissance sans que l'expert n'ait à lui communiquer l'extrait auquel il se référait ».
2 – Sur la fixation du loyer et la détermination des surfaces
L'appelant critiquait le premier juge en ce qu'il s'était fondé sur l'avis émis par l'expert judiciaire, plus particulièrement au titre des surfaces utiles à prendre en considération pour évaluer le loyer du bail renouvelé.
La Cour relève que « le bail, dans le cadre de son renouvellement intervenu en 2004 désigne les lieux loués comme consistant en « un local à usage commercial représentant une surface de vente en rez-de-chaussée d'environ 2000 m² », avec la précision que « le preneur reconnaît être informé que la surface de vente autorisée dans les locaux est de 2000 m² », cette mention ayant pour but de mettre le bail en conformité avec la législation fixant un seuil maximal de surface de vente dans les centres commerciaux ».
Elle considère que « contrairement à l'affirmation du bailleur, la superficie d'exploitation ainsi mentionnée au bail ne correspond donc pas à la surface réellement consacrée par l'exploitant à ses activités de vente à la clientèle mais inclut nécessairement des parties à vocation administrative ou de réserve ». La Cour estime que « c'est de manière conforme à la réalité que l'expert judiciaire a déterminé que la surface de vente exploitée est en l'espèce de 1571 m², compte tenu de la transformation en réserve d'une partie antérieurement utilisée en surface de vente ».
S'agissant de l'application des coefficients de pondération, la Cour observe que « l'expert judiciaire a logiquement pris en compte les préconisations issues de la Charte des Expertises dans son édition de 2012, pour l'application des coefficients de pondération, puisqu'il était saisi d'une question portant sur l'appréciation d'un loyer à compter d'un renouvellement intervenu le 1er février 2013 ». Elle rappelle qu'« il ressort de cette charte, dans son édition de 2012 que, pour les surfaces commerciales supérieures à 1500 m², « seules les surfaces de vente sont prises en compte pour leurs mètres carrés réels, les autres surfaces (réserve, locaux techniques, dégagement) étant neutralisées ». La pondération n'a pas vocation à s'appliquer aux surfaces inexploitées ».
La Cour précise que « cette analyse menée par l'expert et reprise par le premier juge est conforme aux dispositions de l'article R. 145-3 du code de commerce qui prévoit que les caractéristiques des locaux loués doivent s'apprécier par rapport à l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou encore à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ».
Concernant la déduction de l'impôt foncier, la Cour applique l'article R. 145-8 du code de commerce qui prévoit que « les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur son locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative ». Elle observe qu'« au terme du bail, il appartient au preneur de « rembourser au bailleur... tous les droits, taxes et impôts, de quelque nature qu'ils soient » » et que « la taxe foncière est bien supportée de manière exorbitante par le preneur qui doit la rembourser au bailleur ». Elle confirme la déduction de 12 544 euros correspondant au montant de la taxe foncière refacturée au preneur en 2013.
Au final, la Cour confirme la fixation de la valeur locative au 1er février 2013 à 185 061,63 euros hors taxe et hors charges.
Cette décision illustre l'importance de la distinction entre surface contractuelle et surface réellement exploitée, ainsi que l'application des règles de pondération selon la Charte de l'Expertise Immobilière en vigueur à la date de référence du renouvellement.