Repères – Bail commercial – Renouvellement – Valeur locative – Charges de copropriété – Taxe foncière – Usage local – Marseille – 13009
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 11e chambre A, 29 novembre 2018, n° 17/18318
La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a rendu le 29 novembre 2018 un arrêt particulièrement éclairant en matière de fixation du loyer des baux commerciaux renouvelés, confirmant intégralement le jugement du tribunal de grande instance de Marseille du 10 juillet 2017. Cette décision, opposant la société L'ABEILLE à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE, illustre parfaitement l'application des règles de détermination de la valeur locative et précise des points techniques importants relatifs à l'impact des charges de copropriété et aux usages locaux en matière de transfert de taxe foncière.
L'affaire concernait un bail commercial initialement conclu en 1965 pour des locaux situés dans le 9e arrondissement de Marseille, destinés à l'exploitation d'un supermarché. Le bail s'était renouvelé tacitement par la suite avant qu'une demande de renouvellement ne soit formalisée le 28 juin 2013. Le bailleur acceptait le principe du renouvellement mais souhaitait une augmentation du loyer à 330 000 euros annuels, tandis que l'expert judiciaire de Marseille avait proposé un montant de 300 000 euros. Le tribunal de première instance avait finalement fixé le loyer à 228 479 euros, décision contestée par le bailleur qui réclamait en appel l'application du montant retenu par l'expert.
1 – Sur la détermination de la valeur locative et l'évaluation des facteurs de commercialité
L'arrêt développe une analyse méthodique de la détermination de la valeur locative en application des articles L. 145-33 et R. 145-2 et suivants du code de commerce. La Cour rappelle que cette valeur dépend des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage.
La Cour valide l'expertise judiciaire en soulignant qu'elle « ne présente aucune insuffisance et permet d'évaluer la valeur locative » car « l'expert donne tous éléments objectifs nécessaires à l'appréciation des locaux, de leur situation commerciale ainsi que de leur valeur locative ». Les parties s'accordaient sur la superficie du local commercial, soit 2 160 m² de surface utile et 1 659,25 m² de surface utile pondérée selon la pondération opérée par l'expert.
L'arrêt procède à une analyse précise des facteurs de commercialité. Les locaux sont situés « dans le 9ème arrondissement de Marseille, dans un quartier qui peut être qualifié de secteur assez recherché ». Le magasin est « implanté dans l'ensemble de la Rouvière édifié en 1962, composé de six bâtiments à usage de logements collectifs ». La Cour relève que « l'activité exercée, vise principalement une clientèle fidélisée » et que « les locaux bénéficient d'un bon emplacement commercial et d'un parking ». Elle note également que « la population de l'ensemble de la Rouvière constitue un atout pour la clientèle potentielle qu'elle représente, même s'il faut préciser que son pouvoir d'achat est plutôt moyen ».
Cette analyse nuancée illustre l'importance d'une appréciation globale des facteurs de commercialité, tenant compte à la fois des avantages (emplacement, parking, clientèle de proximité) et des limites (pouvoir d'achat moyen de la clientèle potentielle). La Cour précise également que le local est « destiné exclusivement à une activité de supermarché, à l'exclusion de tous autres commerces ou de toute autre utilisation des lieux », élément important pour la sélection des références comparatives.
Concernant les références locatives, la Cour retient « les références des locaux équivalents en superficie soit 8 valeurs de référence pour des supermarchés et grandes surfaces alimentaires de plus de 700 m² ». L'examen de ces références conduit à « retenir une valeur locative moyenne de 153 euros le m² pondéré ». La Cour confirme ainsi « à juste titre que le premier juge a retenu une valeur locative avant abattement de 253 865 euros (1 659,25 m² × 153 euros) ». Cette méthode de calcul par référence à des locaux de destination et de superficie comparables illustre l'importance de disposer d'un panel de références homogènes pour établir une valeur locative fiable.
2 – Sur l'application des abattements et l'incidence des usages locaux
L'arrêt développe une analyse particulièrement instructive concernant l'application d'abattements à la valeur locative brute pour tenir compte des spécificités du bail. Deux types d'abattements sont examinés : celui lié aux charges de copropriété élevées et celui potentiellement applicable au transfert de taxe foncière.
Concernant les charges de copropriété, la Cour relève que « les charges de copropriété se sont élevées à la somme de 93 015 euros pour l'année 2013, soit 30% de la valeur locative, ce qui n'est pas contesté par les parties ». Elle confirme « à juste titre que le premier juge a retenu un abattement de 10% pour charges élevées, ces dernières étant justifiées en partie par l'appartenance du local litigieux au centre commercial ». Cette solution illustre la prise en compte des charges exceptionnellement élevées dans la détermination de la valeur locative, l'appartenance à un ensemble commercial pouvant générer des charges de copropriété supérieures à la moyenne.
L'analyse de l'impact de la taxe foncière est particulièrement éclairante. Le contrat de bail mettait « à la charge du preneur le paiement de la taxe foncière », situation qui aurait pu justifier un abattement supplémentaire. Cependant, la Cour écarte cette possibilité par une double argumentation. D'une part, elle rappelle que l'article R. 145-8 du code de commerce indique que « ne constituent un facteur de diminution de la valeur locative que les obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages ». D'autre part, elle constate qu'« il est constant que le transfert de l'impôt foncier sur le preneur en matière commerciale est un usage marseillais de sorte qu'il ne constitue pas une obligation imposée au locataire au-delà des usages et ne saurait de ce seul fait, entraîner un quelconque abattement ».
Cette solution met en évidence l'importance des usages locaux dans l'appréciation des obligations contractuelles. Ce qui pourrait constituer une charge exceptionnelle dans certaines régions peut être considéré comme normal dans d'autres, en fonction des pratiques locales établies. La Cour ajoute un second argument : « les baux retenus à titre de référence prévoient que la taxe foncière est remboursée au bailleur par le preneur de sorte que ce transfert n'a aucune incidence sur la détermination de la valeur locative, excluant dès lors tout abattement ». Cette approche cohérente évite les distorsions qui pourraient résulter de la comparaison entre des baux aux clauses différentes.
L'arrêt confirme ainsi la fixation du loyer à 228 479 euros annuels, soit la valeur locative brute de 253 865 euros minorée de l'abattement de 10% pour charges élevées.
Cette décision illustre également l'importance d'une sélection rigoureuse des références comparatives et de la cohérence dans l'application des critères d'évaluation.