Repères – Bail commercial – Renouvellement – Valeur locative – Supermarché – Pondération des surfaces – Éléments de comparaison – Paris 75005
Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 4 juillet 2018, n° 16/23013
La Cour d'appel de Paris a rendu le 4 juillet 2018 un arrêt particulièrement instructif en matière de fixation du loyer des baux commerciaux de moyennes surfaces alimentaires, infirmant partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 2 septembre 2016. Cette décision, opposant la SAS CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE aux consorts G. et L., développe une analyse technique approfondie de la pondération des surfaces commerciales et précise des points méthodologiques importants relatifs à la sélection des éléments de comparaison pour l'évaluation des locaux commerciaux alimentaires en secteur résidentiel parisien.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 4 février 1994 pour des locaux situés dans le 5e arrondissement de Paris, à destination d'alimentation générale et tous produits vendus dans les magasins du type supermarché, pour une durée de 12 ans à compter du 1er octobre 1996. Les bailleurs avaient délivré congé pour le 31 mars 2012 et proposé le renouvellement moyennant un loyer annuel de 160 000 euros, puis sollicité la fixation judiciaire à 288 000 euros. Le tribunal de première instance avait fixé le loyer renouvelé à 191 440 euros annuels. La société locataire contestait cette décision en réclamant une fixation à 126 750 euros, tandis que les bailleurs sollicitaient 216 000 euros.
1 – Sur la pondération des surfaces et la sélection des références comparatives
L'arrêt développe une analyse particulièrement technique concernant la pondération des différentes zones d'un supermarché. Le litige portait principalement sur le coefficient de pondération applicable à la zone d'entrée de 85 m² où sont entreposés les caddies. La SAS CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE critiquait « le coefficient de pondération de 0,7 retenu par les premiers juges pour la zone d'entrée où sont entreposés les caddies, en faisant valoir qu'il ne s'agit pas d'une surface de vente, et que le coefficient applicable aux zones annexes et reliées prévu par la charte de l'expertise en évaluation immobilière est celui de 0,20 à 0,30 ». L'expert avait proposé un coefficient de 0,90, que la Cour écarte comme « trop élevé dans la mesure où cet espace qui est en pente, est constitué d'une rampe à droite accessible aux PMR, et à gauche d'un escalier de neuf marches, avec au centre un bloc surélevé sur lequel sont rangés les caddies, et ne peut être utilisé comme espace de vente ».
Cependant, la Cour refuse la qualification de zone annexe : « cette zone ne peut être comparée à une zone annexe, puisqu'elle constitue le seul accès au magasin, comportant deux entrées avec vitrines sur rue, qui caractérisent la visibilité de la boutique pour la clientèle ». Elle confirme le coefficient de 0,7 « qui apparaît conforme aux préconisations de la charte de l'expertise en évaluation immobilière pour cette zone ».
Concernant les éléments de comparaison, la société locataire contestait que l'expert et les premiers juges « se sont appuyés sur des références de boutiques dont la superficie est inférieure à 500m² alors que la surface des lieux loués est supérieure à 600m² ». Elle produisait des références du 20e arrondissement avec des surfaces bien supérieures. La Cour écarte ces références : « Les références situées dans le 20e arrondissement doivent être écartées en ce qu'elles sont situées dans un quartier de Paris, qui n'est pas aussi résidentiel que le 5ème ou le 15ème arrondissement, au sein desquels M. V. Da C. a puisé la plupart de ses références, et concernent des grandes surfaces du plus du double des locaux évalués ».
2 – Sur la fixation de la valeur locative et les correctifs
La Cour procède à une synthèse des éléments d'évaluation en tenant compte des spécificités des locaux : « en tenant compte de leur emplacement dans un secteur résidentiel avec un bon potentiel de clientèle, mais sur une voie de commercialité secondaire, du commerce alimentaire exercé, de la configuration des lieux peu pratique en raison de la dénivellation du terrain, et des prix pratiqués dans des secteurs résidentiels, il convient de confirmer le prix de 320euros/m² fixé par les premiers juges ».
La société locataire demandait un abattement de 15% en raison des restrictions imposées par l'assemblée générale de la copropriété de 1984 « interdisant la musique d'ambiance dans le magasin, la vente nocturne et le dimanche, l'apposition d'affiches sur les vitrines ». Les bailleurs répliquaient « que le magasin est ouvert 7 jours sur 7, y compris le dimanche, et en semaine jusqu'à 23 heures, en dépit de l'interdiction mentionnée au bail ». La Cour rejette la demande d'abattement : « Les restrictions issues de la décision prise par l'assemblée générale de la copropriété en date du 9 juillet 1984, dont il n'est pas démontré qu'elles soient appliquées par la société locataire, ne justifient pas l'abattement sollicité ».
Le calcul final s'établit à : « 320euros x 634m² = 197 440euros - 6000euros = 191 440euros » après déduction de la taxe foncière. La Cour confirme donc le montant fixé en première instance, rejetant tant les prétentions de la locataire (126 750 euros) que celles des bailleurs (216 000 euros).
L'arrêt illustre l'importance de la cohérence géographique et typologique des références comparatives, ainsi que la nécessité d'une analyse fonctionnelle des surfaces pour leur pondération, privilégiant la réalité de l'exploitation sur les stipulations contractuelles non appliquées.