Repères – Bail commercial – Locaux imbriqués – Décote pour configuration – Compétence du juge des loyers – Grenoble – 38000
Cour d'appel de Grenoble, chambre commerciale, 10 septembre 2020, n° 17/00854
La Cour d'appel de Grenoble a rendu le 10 septembre 2020 un arrêt remarquable en matière de baux commerciaux, confirmant partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Grenoble du 6 février 2017. Cette décision, opposant les SCI EXTENSION et NEBRASKA à la SAS GMP ATIM TECHNOLOGIES, illustre deux questions essentielles : l'impact de la configuration particulière des locaux sur la valeur locative et les limites de compétence du juge des loyers commerciaux.
L'affaire concernait deux baux commerciaux distincts portant sur des locaux situés à Grenoble, l'un conclu par la SCI NEBRASKA pour un loyer annuel de 53 472 euros HT, l'autre par la SCI EXTENSION pour 142 008 euros HT. Les locaux, bien que faisant l'objet de deux baux séparés, présentaient la particularité d'être totalement imbriqués et indissociables dans leur exploitation.
1 – Sur la décote pour configuration particulière des locaux imbriqués
La question centrale de l'arrêt portait sur l'application d'une décote de 10% en raison de la configuration particulière des locaux. L'expert judiciaire avait évalué la valeur locative à 74,75 euros/m² sans tenir compte de l'imbrication des bâtiments, malgré ses constatations selon lesquelles « les bâtiments sont mitoyens et communiquent entre eux, ils forment un tout ». Le tribunal de première instance avait appliqué une décote de 10%, contestée par les bailleurs.
Les SCI appelantes soutenaient que « l'imbrication des locaux est avantageuse » et qu'« une seule activité est exercée », arguant que « la situation actuelle résulte de l'historique et de la construction de nouveaux bâtiments ayant nécessité un financement complémentaire et un nouveau bail ». Elles affirmaient que « la situation n'a aucun caractère pénalisant pour le preneur » et que « le fait d'avoir des dates de renouvellement différents ne pose aucun problème, les parties pouvant à tout moment de manière consensuelle revenir à des dates identiques pour les deux baux ».
La Cour rejette cette argumentation, relevant que les appelantes « ne procèdent cependant sur ce point que par affirmation quant à leurs intentions ». Elle considère qu'« il existe une difficulté réelle pour le preneur dans le cas où il entend donner congé pour le tout pour une même date d'effet ou céder un seul droit au bail nonobstant la propriété commerciale ». La Cour constate que « les deux bâtiments dont le premier est une extension de l'autre ne sont pas séparés, que l'accès et la desserte de l'exploitation de l'un ne peut se faire sans l'autre, qu'il existe un système unique de chauffage, climatisation, distribution d'électricité et fluides ».
Elle confirme donc « à juste titre que le jugement a pris en compte le manque de commodités engendré par l'existence de deux baux distincts et évalué celui-ci à 10% l'abattement opéré ». Cette décision reconnaît que l'imbrication de locaux faisant l'objet de baux distincts peut constituer une contrainte justifiant une décote, même lorsque l'exploitation est unifiée.
2 – Sur les limites de compétence du juge des loyers commerciaux
La Cour aborde également une question de compétence fondamentale. Le tribunal de première instance avait non seulement fixé les loyers renouvelés, mais également statué sur des demandes de paiement d'arriérés et de fixation de créances au passif des procédures collectives.
La Cour rappelle fermement les limites de cette compétence spécialisée. Selon l'article R 213-2 du code de l'organisation judiciaire, « le président du tribunal de grande instance connaît des contestations relatives à la fixation du prix des baux commerciaux dans les cas et conditions prévus par l'article R 145-23 du code de commerce ». L'article R 145-23 précise que « les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal de grande instance » tandis que « les autres contestations sont portées devant le tribunal de grande instance ».
La Cour en déduit qu'« il en découle que le juge des loyers commerciaux n'avait pas le pouvoir de statuer sur des demandes en paiement d'arriérés. Mais il en est de même des demandes de fixation de créances ». Elle conclut qu'« en statuant sur les demandes en paiement et en fixation de créances, le juge des loyers commerciaux a ainsi outrepassé ses pouvoirs ».
En conséquence, la Cour « infirme le jugement querellé en ce qu'il a statué sur des demandes en paiement et en fixation de créance » et précise que « le président du tribunal de grande instance n'a pas pouvoir pour se prononcer sur une demande en paiement d'arriérés, une demande en restitution et ou sur une demande de fixation de créance ».