Repères – Bail commercial – Révision – Valeur locative – Locaux industriels – Surloyer – Pondération des surfaces – Montélimar – 26200
Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 23 février 2023, n° 21/04060
La Cour d'appel de Grenoble a rendu le 23 février 2023 un arrêt remarquable en matière de fixation de loyer de bail commercial renouvelé, opposant la SCI [Localité 3] 2008 II à la SA NOUGAT CHABERT & GUILLOT. Cette décision présente un intérêt particulier par son analyse méthodologique de l'évaluation des locaux industriels et sa position sur la reconduction des surloyers conventionnels lors du renouvellement.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 30 septembre 2008 pour des locaux situés dans la ZAC Les Portes de Provence, destinés à une activité d'usine de production et d'emballage, de magasin, de bureaux et de siège social. Le loyer initial était composé d'un loyer de base annuel de 500 000 euros et d'un surloyer fixe de 135 000 euros pendant douze ans. Après expiration du bail le 30 juin 2018 et poursuite tacite, la locataire avait sollicité le renouvellement par courrier du 24 juillet 2018. Le tribunal judiciaire de Valence avait fixé par jugement du 19 août 2021 le loyer renouvelé à 386 210 euros hors taxes, décision dont la bailleresse avait fait appel en demandant une majoration substantielle.
1 – Sur la méthodologie d'évaluation et la critique de la pondération des surfaces
L'arrêt développe une analyse particulièrement fouillée de la méthodologie d'évaluation, notamment sur la question cruciale de la pondération des surfaces. Les locaux concernés comprenaient « un rez de chaussée constitué d'une zone de production et d'emballage avec ses annexes d'une surface totale de 6092,36 m², et d'un magasin de vente directe de 97,70 m² ; d'autre part, d'un étage affecté à des bureaux et locaux sociaux le tout sur 1332,22 m² ».
La Cour procède à une critique méthodologique approfondie de l’expertise du bâtiment industriel. Elle observe d'abord que « l'expert immobilier de Grenoble a indiqué avoir procédé à l'estimation de la valeur locative des locaux en utilisant la méthode comparative à partir des références relevées aux fins d'établir une valeur moyenne du m² pondéré ». Elle rappelle ensuite le principe selon lequel « il est d'usage de procéder à la pondération des surfaces commerciales afin d'assurer la comparaison des locaux avec ceux proposés comme références locatives qui, bien qu'équivalents, peuvent ne pas être strictement identiques ».
Le raisonnement décisif porte sur la cohérence méthodologique : « Le principe même de la comparaison impose en cas de pondération de traiter de la même manière le local en litige et les locaux servant de références. Or, à la lecture du rapport d'expertise, le descriptif des éléments de référence listés sous forme de tableau en page 15 et 16, ne fait apparaître aucune mention de la pondération de leurs surfaces ». La Cour relève une incohérence flagrante : « la référence 'la Poste- PPDC Sud' y figure pour une surface et un prix unitaire strictement identiques à ceux retenus par l'expert V., alors que cette dernière a précisément indiqué ne pas appliquer de pondération ».
Elle en tire la conséquence logique : « Dès lors, le prix unitaire de 73,80 euros ht/m²/an extrait par Mme [D] de la moyenne des références retenues, n'est pas un prix du m² pondéré tel qu'annoncé et l'expert ne pouvait l'appliquer au local expertisé en pondérant ses surfaces ». La Cour conclut qu'« à défaut pour l'expert d'avoir pondéré les surfaces des références de comparaison, la cour ne pourra tenir compte que des surfaces utiles sans pondération ».
Concernant les attestations de valeur produites par la bailleresse, la Cour développe une distinction fondamentale entre valeur de marché et valeur locative légale : « Les attestations de valeur produites par la Sci [Localité 3] 2008 II qui envisagent un loyer annuel de 100 à 105 euros/m² ht hc ne sont que le reflet d'une valeur locative de marché telle qu'elle peut résulter de la libre négociation des parties à l'entrée dans les lieux et obéir à la loi de l'offre et de la demande. Elles sont inopérantes à justifier de la valeur locative légale résultant de l'application des critères imposés par le code de commerce et correspondant à la situation d'un locataire bénéficiant de la protection statutaire ».
2 – Sur l'analyse des obligations des parties et la reconduction du surloyer conventionnel
La Cour procède à une analyse systématique des obligations contractuelles au regard de l'article R.145-8 du code de commerce. Elle identifie d'abord les charges exorbitantes : « L'expert a relevé qu'en vertu du bail, le preneur devait assumer la charge de la taxe foncière, normalement supportée par le bailleur, de même que l'ensemble de ses primes d'assurance. Il s'agit d'une charge exorbitante de droit commun qui doit être prise en compte pour la fixation de la valeur locative et conduit à sa minoration ».
Concernant la sous-location de la toiture, la Cour développe un raisonnement particulièrement détaillé : « L'expert a noté que la toiture des locaux était sous-louée par la SCI 2008 II à un tiers, la société [Localité 3] Energy, aux fins de réalisation et d'exploitation d'une couverture en membranes photovoltaïques ». Elle observe que « le bail exonère la société NGC+ des charges d'entretien de la toiture, il la prive, ainsi que l'a relevé l'expert, de toute possibilité d'intervention, y compris en urgence, alors que la membrane en question doit assurer l'étanchéité du bâtiment et la soumet à l'activité d'un tiers à l'égard duquel elle ne dispose d'aucun lien contractuel ». La Cour conclut à « une minoration de la valeur locative résultant du fait que le bail consenti à la société NGC+ n'inclut pas la toiture du bâtiment donnée en jouissance à un tiers, et qui sera fixée à 10 % ».
L'arrêt tranche une question délicate concernant le sort du surloyer lors du renouvellement. La Cour rappelle d'abord que « selon les termes de l'article 6.1 du bail relatif au loyer, les parties ont stipulé un loyer annuel binaire composé d'une partie soumise aux évolutions prévues par la législation et d'un surloyer provisoire d'une durée de douze ans, fixe et non révisable ». Elle développe ensuite un raisonnement juridique précis : « Il résulte de ces stipulations que les règles de détermination du loyer initial n'étant pas d'ordre public, les parties ont pu convenir d'en exclure une partie du champ d'application du statut. Le renouvellement du bail s'effectue usuellement aux mêmes charges et conditions que le bail précédent ce qui conduit à reconduire la clause relative au surloyer, qui constitue une obligation spécifique devant être prise en compte au titre des critères de l'article L.145-33 du code de commerce ».
Au terme de son analyse, la Cour retient « un prix du m² utile annuel 82 euros ht/m²/an, soit une valeur locative totale de 616.826,96 euros ht/an (82 x 7522,28) ». Elle applique ensuite les coefficients de minoration : 10% pour la sous-location de la toiture et 8% pour les charges exorbitantes, aboutissant à « la fixation de la valeur locative des locaux loués à 505.798,11 euros ht/an ».
Cette décision démontre l'importance de la rigueur méthodologique dans l'application de la pondération des surfaces et confirme la possibilité de reconduire des surloyers conventionnels lors du renouvellement. L'arrêt illustre également la nécessité de distinguer clairement entre valeur de marché et valeur locative légale, et la prise en compte systématique des charges exorbitantes et des contraintes d'usage dans la fixation de la valeur locative.