Repères – Bail commercial – Recyclage et récupération – Tacite prolongation – Déplafonnement – Valeur locative - Vétraz-Monthoux – 74100
Cour d'appel de Chambéry, chambre civile, 1re section, 18 février 2020, n° 18/00457
La Cour d'appel de Chambéry a rendu le 18 février 2020 un arrêt de confirmation exemplaire en matière de fixation du loyer des baux commerciaux après tacite prolongation, validant intégralement le jugement du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains du 16 janvier 2018. Cette décision, opposant M. Emile G. à Mme Katia L. épouse R., illustre parfaitement l'application de l'exception au plafonnement du loyer prévue à l'article L 145-34 du code de commerce et démontre l'importance de l'expertise judiciaire dans l'évaluation de la valeur locative d'un bien à usage industrielspécialisé.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 8 septembre 1994 portant sur une propriété sise à Vétraz-Monthoux, composée d'un petit bâtiment à usage d'habitation, d'un petit bâtiment à usage d'écurie et un bâtiment à usage de garage entrepôt, aux fins d'exploitation d'un fonds de recyclage et de récupération sur un terrain de 9 424 m², moyennant un loyer annuel initial de 132 000 FF. Le bail ayant été renouvelé le 13 juillet 2012, soit 18 ans après sa conclusion initiale, le juge des loyers commerciaux avait fixé le nouveau loyer à 64 800 euros HT et hors charges, décision confirmée par la Cour d'appel.
1 – Sur l'application de l'exception au plafonnement du loyer en cas de tacite prolongation
La Cour rappelle le principe général posé par l'article L 145-34 du code de commerce qui « fixe le principe de la règle du plafonnement du loyer au montant du loyer initial, majoré selon l'évolution de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ». Elle précise toutefois que « cette règle souffre une exception, lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans ».
En l'espèce, la Cour constate que « tel est bien le cas en l'occurrence, puisque le bail a été renouvelé en juillet 2012, soit 18 ans après la conclusion du bail initial de 1994 ». Elle en déduit que « dès lors, le loyer doit être fixé à la valeur locative, conformément aux dispositions de l'article L 145-33 du même code », qui énumère les critères d'évaluation : « les caractéristiques du local considéré ; la destination des lieux ; les obligations respectives des parties ; les facteurs locaux de commercialité ; les prix couramment pratiqués dans le voisinage ».
2 – Sur l'évaluation de la valeur locative et la prise en compte des améliorations
La Cour procède à une analyse détaillée des éléments d'évaluation de la valeur locative. Concernant les travaux et améliorations, elle relève que « le bail stipule que "même autorisés, les travaux de transformation, d'aménagement, d'amélioration faits par le preneur ne donneront lieu à indemnité de la part du bailleur en fin de bail" ». Elle en déduit qu'« il en résulte à la fin du bail, les améliorations portées aux lieux loués bénéficient au bailleur, qui peut donc en faire tenir compte pour l'évaluation de la valeur locative, quand bien même ces travaux auraient été exécutés par le seul preneur ».
S'agissant des charges, la Cour observe que « le bail met à la charge du preneur les seules taxes locatives et les charges récupérables au sens de l'article 38 de la loi du 1er septembre 1948, ce qui a pour conséquence que le bailleur conserve à sa charge la taxe foncière, ce qui constitue un facteur de hausse de la valeur locative ».
Concernant la situation géographique, la Cour considère que « s'agissant d'une entreprise générant par le trafic occasionné (les déchets étant amenés en poids lourds) et son activité de traitement des déchets, diverses nuisances pour le voisinage immédiat, la situation des lieux est tout à fait propice pour la bonne exploitation du fonds par la société RCR, car éloignée d'habitations et située au cœur du bassin annemassien ». Elle précise que « de même, la présence d'autres activités provoquant des nuisances sonores élevées (présence de l'aérodrome d'Annemasse) n'a pas d'incidence ».
La Cour valide la méthode comparative utilisée par l'expert, relevant que « l'expert, pour proposer un calcul de la valeur locative, s'est fondé sur des éléments de comparaison pertinents, car situés eux aussi dans des zones industrielles proches (notamment de l'autre côté de l'aérodrome) et d'une contenance similaire, les locaux retenus ayant des terrains d'assiette du même ordre, de 3 000 m² à 8 000 m² et comportant des bâtiments de stockage ».
L'évaluation détaillée comprend : « 33 600 euros pour les bâtiments d'activité et, pour l'habitation, à une valeur mensuelle de 600 euros soit 7 200 euros HT/an, sur la base d'un loyer de 8euros/m²/mois, s'agissant d'une habitation de 74 m², située dans une zone d'activités, en bordure de rue, et dans le périmètre d'une zone de bruit fort ». Pour le terrain de stockage, « l'expert a recherché sa valeur vénale, soit 60 euros/m², aboutissant à une valeur de 240 000 euros, retenant ensuite un taux de rendement de 10%, ce qui est l'usage, pour fixer la valeur locative du terrain à 24 000 euros/an ».
La Cour conclut que « c'est donc par une exacte appréciation des circonstances de la cause que le premier juge a retenu la valeur locative telle que résultant du rapport d'expertise, soit un montant de 64 800 euros HT/an ».Cette décision constitue un exemple de l'application de la règle de déplafonnement en cas de tacite prolongation excédant douze ans.