La règle du plafonnement du loyer ne s’applique pas à l’indemnité d’occupation
Cour de Cassation, 3è chambre civile, 17/06/2021 n°20-15.296
La règle du plafonnement du loyer ne s’applique pas à l’indemnité d’occupation due par le preneur en application de l’article L 145-28 du code de commerce, laquelle doit être fixée en fonction de la valeur locative.
Analyse
Par cet arrêt du 17 juin 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a jugé que « la règle du plafonnement du loyer s’applique à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé, mais non à l’indemnité d’occupation due par le preneur maintenu dans les lieux à l’expiration du bail en application de l’article L 145-28 du code de commerce » et que « par suite, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que cette indemnité devait être fixée en fonction de la valeur locative ».
Ainsi, le plafonnement s’applique au loyer commercial et non à l’indemnité d’occupation.
Cet arrêt de la Haute Juridiction, qui rappelle un principe déjà affirmé, est essentiel pour l’expert en estimations immobilières commerciales.
Lorsqu’il est désigné par le tribunal dans le cadre d’un refus de renouvellement de bail commercial, l’expert a pour mission de déterminer l’indemnité d’éviction due par le bailleur au locataire évincé. Mais ceci n’est pas le seul point de discussion entre les parties ; en effet, l’expert aura également pour mission d’estimer le montant de l’indemnité d’occupation due par le locataire.
Quand le bail, arrivé à son terme, n’est pas renouvelé, le preneur peut, dans l’attente du règlement par le bailleur de l’indemnité qui lui est due, se maintenir dans les lieux. Il est alors redevable non plus d’un loyer mais d’une indemnité d’occupation dite statutaire.
Cette indemnité d’occupation statutaire est fixée au regard des dispositions de l’article L 145-28 du code de commerce.
En l’espèce, les faits étaient les suivants :
- La société Sopadiv est locataire de locaux à usage commercial appartenant à la SCI Normande.
- Le 23 mars 2011, la SCI propriétaire, a délivré à la locataire un congé, à effet du 1er octobre 2011, avec refus de renouvellement et de paiement d'une indemnité d'éviction.
- Un jugement du 11 mars 2013 a rejeté la demande de la SCI en validité du congé et a ordonné une expertise aux fins d'évaluation de l'indemnité d'éviction.
- Le 13 avril 2016, la SCI a exercé son droit de repentir et a consenti, au profit de la société locataire, au renouvellement du bail pour neuf ans.
- La société locataire Sopadiv a fait grief à l'arrêt attaqué de fixer l'indemnité d'occupation pour la période écoulée entre le 1er octobre 2011 et le 13 avril 2016 à la valeur locative en dehors de tout plafonnement comme le serait le loyer.
- La société locataire a considéré qu’en refusant d'appliquer la règle du plafonnement, élément d'appréciation selon elle auquel renvoie l'article L. 145-28 du code de commerce, la cour d'appel a violé les articles L.145-28 et L. 145-34 du code de commerce.
La cour d’appel de Paris dans son arrêt du 15 janvier 2020, a effectivement retenu qu’en cas d'exercice du droit de repentir par le bailleur, le preneur était tenu pendant la période écoulée entre la fin du bail et l'exercice du droit de repentir au paiement d'une indemnité d'occupation, laquelle a été fixée à la valeur locative conformément à l'article L. 145-28 du code de commerce, et que les règles du plafonnement ne trouvent pas à s'appliquer dans ce cas.
Il s’agit d’une situation qui n’a rien d’exceptionnelle mais les conséquences du non-renouvellement du bail sur les obligations du preneur et du bailleur quant au maintien dans les lieux du preneur évincé ne sont pas toujours connues des parties à un bail commercial.
La décision a été rendue au regard de l’article L. 145-28 du code de commerce qui dispose en son premier aliéna, que :
« Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation ».
La Cour de cassation, à plusieurs reprises, a rappelé que l’indemnité d'occupation se substitue de plein droit au loyer dès la fin du bail commercial.
Autrement dit, le loyer est ainsi automatiquement transformé en indemnité d'occupation à la date d’effet du refus de renouvellement.
La loi prévoit que l’indemnité d’occupation qui remplace le loyer, demeure soumise aux règles relatives au loyer commercial.
La question alors qui peut se poser concernant les règles d’évaluation de l’indemnité d’occupation est la suivante : est-ce que l’indemnité doit être fixée en fonction de la valeur locative en vertu des conditions de l’article L 145-33 ou la règle de plafonnement selon l’article L 145-34 trouve-t-elle à s’appliquer ?
Le locataire qui reste dans les lieux dans l’attente du paiement de l’indemnité d’éviction, sera redevable d’une indemnité d’occupation qui sera déterminée dans les mêmes conditions que la valeur locative de renouvellement du bail commercial.
L’expert en estimations immobilières qui intervient sur ces sujets, soit parce qu’il est désigné par le tribunal, soit dans le cadre d’une mission amiable, ne doit pas ignorer le contexte juridique qui guidera son analyse.
Cette indemnité d’occupation doit être estimée sur la base de la valeur locative du local dont le locataire est évincé et non sur la base du loyer qu’il payait jusqu’à la dénonciation du bail.
Ce principe s’applique et dès lors, peu importe de savoir s’il existait ou non, au moment du renouvellement du bail, un motif de déplafonnement du loyer.
Ainsi que le rappelle dans cet arrêt la Haute Juridiction, le plafonnement du loyer ne s’applique pas à l’indemnité d’occupation.
Nous attirerons donc l’attention les conséquences de ce principe, à savoir que l’indemnité d’occupation déterminée par l’expert, qui s’appliquera entièrement et immédiatement à la date d’effet du congé donné et jusqu’à la libération effective des locaux, peut s’avérer beaucoup plus élevée que le montant du loyer en vigueur à la fin du bail non-renouvelé.
Abattement pour Précarité de l'Indemnité d'Occupation
Il convient de préciser par ailleurs qu’une indemnité d’occupation, qui est certes basée sur la valeur locative, fait l’objet d’un abattement pour précarité. Cet abattement est justifié par une jurisprudence constante qui considère que le preneur maintenu dans les lieux ne bénéficie pas des mêmes prérogatives que le locataire titulaire d'un bail.
L’expert proposera un abattement qui dépendra du cas d’espèce. Ces décotes se situent généralement entre 10 et 20% de la valeur locative.
Ainsi, la détermination de l’indemnité d’occupation constitue un élément non négligeable des conséquences du non-renouvellement du bail commercial.
Indexation de l’Indemnité d’Occupation
Le sujet de l’estimation de l’indemnité d’occupation sera d’autant plus important que les bailleurs sollicitent le plus souvent que l’indemnité d’occupation soit indexée sur l’indice de référence choisi dans le bail (l’indice des loyers commerciaux -ILC- peut être utilisé pour l’indexation de l’indemnité s’il est mentionné dans le bail commercial ou si le bail commercial a été renouvelé après la loi Pinel de 2014).
Le tribunal peut en effet donner droit au bailleur au regard du délai écoulé entre la fin du bail et l’évaluation de l’indemnité d’occupation.
Article très éclairant ! Pensez-vous que cette exemption d’indemnité d’occupation pourrait influencer à la hausse les prix du marché immobilier local pour les investissements locatifs ? »
Bonjour Monsieur,
Merci de l’intérêt que vous portez à notre publication. Il ne s’agit pas d’une exemption d’indemnité d’occupation mais du fait que l’indemnité d’occupation est elle même exemptée du plafonnement du loyer. Cette indemnité peut donc être fixée à la valeur locative de marché.