Repères – Bail commercial – Renouvellement – Valeur locative – Clause de déplafonnement – Lissage – Paris – 75008
Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 20 avril 2022, n° 19/20567
La Cour d'appel de Paris a rendu le 20 avril 2022 un arrêt remarquable en matière de renouvellement de bail commercial, opposant la SELAS Pharmacie Anglaise des Champs-Élysées à l'indivision Domere C. Cette décision présente un intérêt particulier par son analyse de la validité des clauses contractuelles de déplafonnement et sa position sur l'inapplicabilité du lissage en cas de fixation du loyer à la valeur locative par stipulation contractuelle.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 12 octobre 2007 pour des locaux situés rue Washington dans le 8ème arrondissement de Paris, destinés à une activité de pharmacie et vente de produits accessoires. Le bail contenait une clause spécifique prévoyant qu'« à l'expiration du bail, les parties conviennent dès à présent de déroger aux stipulations de l'article L.145-34 de la partie législative du code de commerce [...] afin de fixer à la valeur locative le loyer du renouvellement éventuel et des renouvellements successifs ». Après expiration du bail le 30 juin 2016, l'indivision bailleresse avait proposé le renouvellement moyennant un loyer de 650 000 euros. Le tribunal judiciaire de Paris avait fixé par jugement du 4 octobre 2019 le loyer renouvelé à 472 000 euros, décision dont la locataire avait fait appel.
1 – Sur la validité et l'application de la clause de déplafonnement contractuel
L'arrêt développe une analyse approfondie de la validité des clauses contractuelles dérogeant au plafonnement légal. La locataire contestait l'application de la clause en soutenant qu'il s'agissait « d'une clause exorbitante du droit commun qui doit être apparente et clairement précise, ce qui n'est pas le cas, sa rédaction étant de nature à l'empêcher de s'apercevoir de l'existence d'une stipulation de déplafonnement automatique ». Elle arguait également que « la clause a été ajoutée au bail à son insu » et ne précisait pas « le champ d'application de la dérogation ».
La Cour rappelle d'abord le principe fondamental selon lequel « les dispositions du code de commerce relatives à la détermination du loyer du bail renouvelé ne sont pas d'ordre public. Ainsi, les parties à un bail commercial peuvent, dès sa conclusion, convenir de stipulations particulières régissant la détermination du loyer au moment du renouvellement ». Elle en déduit que « les parties pouvaient librement convenir de déroger aux dispositions de l'article L 145-34 afin de fixer à la valeur locative le loyer du renouvellement éventuel et des renouvellements successifs ».
Concernant la clarté de la clause, la Cour développe un raisonnement particulièrement détaillé : « La clause dont le libellé est repris ci-dessus est claire et précise. Le fait qu'elle figure dans les conditions générales du bail et non dans les conditions particulières est inopérant, aucune obligation n'étant faite de faire figurer une telle clause dans les conditions particulières ». Elle ajoute que « si elle figure à la fin des dispositions relatives à l'indexation du loyer, cela ne lui ôte pas son caractère apparent, elle est lisible, explicite et la page où elle figure est paraphée par le preneur ». La Cour conclut qu'« il n'incombait pas aux bailleurs d'attirer spécialement l'attention de la locataire sur cette clause parfaitement claire ».
2 – Sur la détermination de la valeur locative et l'inapplicabilité du lissage
La Cour procède à une analyse méthodique de la valeur locative en application de l'article L.145-33 du code de commerce. Elle confirme la surface pondérée de 131 m² retenue par l'expert judiciaire de Paris, observant que « les coefficients de pondération retenus par l'expert judiciaire ont relevé des coefficients compris dans les fourchettes figurant dans la charte de l'expertise en évaluation immobilière ». Concernant l'emplacement, elle relève que « les locaux loués [...] sont en réalité situés rue Washington, mais à moins de dix mètres du trottoir côté pair des Champs-Élysées » et sont « visibles par les chalands qui remontent l'avenue Champs-Élysées, côté pair ».
La Cour fixe finalement la valeur unitaire à 3 100 euros/m²/an, soit une valeur locative de 406 100 euros avant abattements. Elle déduit la taxe foncière réellement payée par la locataire (8 837 euros) et applique une majoration de 2% pour la seconde croix verte, aboutissant à un loyer de 405 208 euros.
L'aspect le plus remarquable de l'arrêt concerne l'inapplicabilité du lissage. La Cour rappelle que l'article L.145-34 du code de commerce prévoit le lissage « en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L.145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail ». Elle développe un raisonnement décisif : « Dans le cas d'espèce, la fixation du bail à la valeur locative ne découle ni de la durée contractuelle du bail, ni des modifications notables des quatre premiers éléments composant la valeur locative, le loyer n'ayant pas fait l'objet d'un déplafonnement de ces chefs. Ce n'est que par l'effet de la stipulation contractuelle dérogeant à l'article L 145-34 du code de commerce que le loyer du bail renouvelé se trouve fixé à la valeur locative ».
La Cour conclut que « par conséquent, il ne peut pas y avoir lissage du loyer, les dispositions précitées ne s'appliquant pas au cas d'espèce ». Cette position constitue une interprétation restrictive de l'article L.145-34, limitant le bénéfice du lissage aux seuls cas expressément prévus par la loi et excluant les déplafonnements résultant de clauses contractuelles générales.
Cette décision confirme la validité de telles clauses dès lors qu'elles sont claires et précises, même figurant dans les conditions générales, et établit une distinction importante entre les différents cas de déplafonnement au regard de l'application du lissage. L'arrêt illustre également l'importance de la rédaction contractuelle et des conséquences financières significatives que peuvent avoir de telles stipulations lors du renouvellement.