Repères – Bail commercial – Station de ski – Déplafonnement du loyer – Modification notable des facteurs locaux de commercialité – Charge de la preuve
Cour d'appel de Chambéry, 1re chambre, 7 février 2023, n° 20/01576
La Cour d'appel de Chambéry a rendu le 7 février 2023 un arrêt de confirmation en matière de renouvellement de bail commercial en station de ski, rejetant la demande de déplafonnement du loyer formulée par le bailleur. Cette décision, opposant la SCI Karine à la SAS Sport Boutique, illustre parfaitement les exigences probatoires strictes imposées au bailleur qui souhaite obtenir un déplafonnement du loyer en invoquant une modification notable des facteurs locaux de commercialité dans le contexte spécifique d'une station de sports d'hiver.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 19 octobre 1999 entre la SCI Mathieu (aux droits de laquelle se trouve la SCI Karine) et la société Sport Boutique pour des locaux situés dans la station des Arcs, renouvelé en 2008 pour neuf années. Au terme de ce renouvellement, le loyer annuel selon indexation s'élevait à 28 604 euros HT au 1er juillet 2018. Le 8 novembre 2017, la SCI Karine avait délivré un congé avec offre de renouvellement à effet au 30 juin 2018, proposant un loyer déplafonné de 36 000 euros HT annuels. Le tribunal judiciaire d'Albertville avait rejeté cette demande et fixé le loyer du bail renouvelé à 28 604 euros HT, décision confirmée par la Cour d'appel.
1 – Sur les conditions du déplafonnement et l'exigence de modification notable
La Cour rappelle le principe fondamental du plafonnement des loyers commerciaux énoncé à l'article L 145-34 du code de commerce, précisant que « pour que le loyer du bail renouvelé soit déplafonné, il est nécessaire que le bailleur démontre, conformément à l'article L 145-14 précité, une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 du code de commerce ». Elle souligne que « le bailleur doit démontrer l'évolution notable des caractéristiques du local considéré, et/ou la destination des lieux et/ou des obligations respectives des parties et /ou des facteurs locaux de commercialité ».
En l'espèce, la SCI Karine invoquait exclusivement une modification des facteurs locaux de commercialité, soutenant que ceux-ci « se sont modifiés positivement de façon notable » en raison de plusieurs éléments : « l'existence d'une capacité d'hébergement accrue entrainant une augmentation de la fréquentation de la station depuis 2009 avec une hausse de 12,1% entre 2009 et 2019 du nombre de lits de la station et une augmentation des nuitées de 10 % en 2019 par rapport à 2018 », « l'existence d'une capacité d'hébergement supérieure aux trois autres sites [de la station] », « l'existence d'activités variées et nombreuses aussi bien en été qu'en hiver » et « le bon emplacement du magasin de la société Sport Boutique situé dans un centre relié à deux quartiers ».
Cette argumentation témoigne d'une approche globale des facteurs de commercialité, tentant de démontrer l'amélioration de l'attractivité touristique de la station dans son ensemble. Cependant, la Cour va appliquer une grille d'analyse beaucoup plus exigeante concernant la qualité et la pertinence des éléments probatoires produits.
2 – Sur l'insuffisance des éléments probatoires et les exigences de localisation précise
La Cour procède à un examen critique et détaillé des pièces produites par la SCI Karine au soutien de sa demande de déplafonnement. Elle constate que « au soutien de son allégation, la SCI Karine produit un extrait de l'observatoire de l'activité touristique reprenant des données sur le nombre de lits, de lits chauds et une analyse du nombre de nuitées [de la station], qui comprend quatre sites dont celui [concerné], deux articles de Wikipédia, une page recto-verso d'un dossier presse hiver 2018-2019 et un dépliant publicitaire sur la station de 2021 ».
La Cour juge ces éléments « insuffisants à démontrer l'évolution notable des facteurs locaux de commercialité spécifiquement sur [le site concerné] et sur le centre commercial dans lequel se trouve le local donné à bail ». Cette analyse révèle une exigence de précision géographique particulièrement stricte : il ne suffit pas de démontrer une amélioration générale de l'attractivité de la station dans son ensemble, mais il faut établir spécifiquement l'évolution des facteurs de commercialité du secteur précis où se situe le local commercial concerné.
Cette approche est d'autant plus pertinente dans le contexte des stations de sports d'hiver, souvent composées de plusieurs sites ou secteurs pouvant connaître des évolutions différenciées. La Cour exige ainsi une démonstration localisée et non globale de l'amélioration des facteurs de commercialité.
Concernant le rapport d'expertise du local commercial produit par la SCI Karine, la Cour observe que « si ce rapport fait mention d'une situation favorable (secteur commerçant, au pied des pistes de la station Arc 1800), il n'aborde pas l'élément relatif à l'évolution des facteurs locaux de commercialité ». Cette critique souligne l'importance de distinguer entre la constatation d'une situation favorable à un moment donné et la démonstration d'une évolution notable de cette situation dans le temps, seule cette dernière justifiant un déplafonnement.
La Cour conclut qu'« à défaut de démontrer une modification notable d'un des éléments visés à l'article L145-33 alinéa 1, 1° à° 4, la SCI Karine sera déboutée de sa demande de déplafonnement du loyer du bail consenti à la société Sport Boutique et le jugement entrepris, parfaitement motivé, sera entièrement confirmé et notamment sur la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 28 604 euros HT et HC, correspondant à l'application de la variation du loyer telle que prévue dans le contrat de bail ».
Elle rejette également « la demande subsidiaire d'expertise formée par la SCI Karine, dès lors qu'il n'y a pas lieu de suppléer sa carence dans l'administration de la preuve qui lui incombe », rappelant ainsi que la charge de la preuve de la modification notable incombe entièrement au bailleur et que le juge n'a pas à pallier les insuffisances probatoires par l'ordonnance d'une mesure d'instruction.Cette décision constitue un exemple de l'application rigoureuse des conditions de déplafonnement des loyers commerciaux en station de ski, démontrant que l'amélioration générale de l'attractivité touristique d'une station ne suffit pas à justifier un déplafonnement si elle n'est pas spécifiquement démontrée pour le secteur précis où se situe le local commercial concerné, et soulignant les exigences probatoires strictes qui pèsent sur le bailleur demandeur.