Repères – Fixation du loyer commercial – Surfaces pondérées – Coefficients de pondération – Taxe foncière – Bordeaux – 33000
Cour d'appel de Bordeaux, 4e chambre commerciale, 8 mars 2023, n° 22/03436
La Cour d'appel de Bordeaux a rendu, le 8 mars 2023, un arrêt particulièrement instructif en matière de fixation du loyer commercial, statuant après renvoi de cassation dans un litige opposant la SAS DAX MEUBLES à la SAS BESSON CHAUSSURES. Cette décision aborde des questions techniques essentielles relatives aux surfaces pondérées, aux coefficients de pondération et au traitement de la taxe foncière dans l'évaluation locative.
L'affaire trouve son origine dans l’expertise d’un local commercial à Saint-Paul-lès-Dax, comprenant une surface de vente en rez-de-chaussée d'environ 2 000 m², ainsi que des surfaces au premier étage destinées à usage de bureaux ou d'entrepôt. Le local présente un bail commercial renouvelé le 3 novembre 2004. La société BESSON CHAUSSURES avait saisi le juge des loyers commerciaux pour la fixation du loyer du bail renouvelé à compter du 1er février 2013.
Après une première instance ayant fixé le loyer à 185 061,63 euros HT par an, confirmée par la Cour d'appel de Pau, la Cour de cassation avait partiellement cassé l'arrêt par décision du 11 mai 2022, renvoyant l'affaire devant la Cour d'appel de Bordeaux sur la question de la fixation du montant du loyer.
1 – Sur les surfaces pondérées et les coefficients de pondération
La première question technique abordée par la Cour concerne la détermination des surfaces à prendre en compte pour la fixation du loyer renouvelé. La société DAX MEUBLES contestait la surface pondérée de 1 571 m² retenue par le premier juge, faisant valoir que la surface de vente contractuellement prévue était d'environ 2 000 m² et qu'une surface de vente de 221 m² avait été transformée en réserve par la locataire de son propre chef.
La société BESSON CHAUSSURES opposait les termes de l'article R. 145-3 du Code de commerce, estimant que le calcul de la valeur locative devait se fonder sur l'affectation des surfaces telle que décidée par le locataire en fonction de l'utilité pour le commerce considéré.
La Cour adopte une position ferme en faveur du respect de l'affectation contractuelle. Elle relève que l'article 1er du bail commercial désigne expressément les lieux objet du contrat et que « l'affectation de chacun des éléments de la surface totale donnée à bail est donc expressément précisée et lie les parties ».
Constatant que l'expert judiciaire avait relevé une surface affectée à la vente de 1 571 m² et que la locataire avait admis avoir transformé une partie de la surface commerciale en réserves, la Cour considère qu'« il n'est pas établi, ni d'ailleurs soutenu, que la bailleresse aurait été informée de ce changement d'affectation, qui a nécessairement une incidence sur la valeur locative des lieux ».
Elle en déduit que « cette affectation à la vente d'une surface moindre que celle autorisée par le bail pour cette activité, qui résulte d'un choix de gestion de la société Besson Chaussures inopposable à la société Dax Meubles, ne peut être prise en considération pour la valorisation de l'assiette du montant des loyers du bail renouvelé ».
En conséquence, la Cour retient, pour la fixation du loyer renouvelé, la surface commerciale de 2 000 m² telle que contractuellement arrêtée, avec un coefficient de pondération de 1.
S'agissant des coefficients de pondération des entrepôts et bureaux, le premier juge avait retenu un coefficient de 0, neutralisant ainsi près de 30 % de la surface louée. La société DAX MEUBLES proposait un coefficient de 0,3 pour ces surfaces.
La Cour se réfère à la Charte de l'expertise en évaluation immobilière, qu'elle qualifie d'« instrument pertinent dans la mesure où ses recommandations portent sur des principes méthodologiques et déontologiques communs aux experts immobiliers et constituent une base de proposition unifiée ».
Elle observe que la Charte d'octobre 2012 propose certes, pour les surfaces de vente supérieures à 1 500 m², de neutraliser les surfaces autres que la vente, « mais ajoute qu'il y a lieu de distinguer dans cette catégorie les locaux qui sont exploités de plain-pied et ceux qui sont exploités sur plusieurs niveaux, ce qui est ici le cas, les seconds pouvant faire l'objet d'une pondération pour tenir compte de la configuration, de l'accessibilité et de la hauteur sous plafond des différents niveaux ».
S'appuyant sur les références de comparaison retenues par l'expert judiciaire, qui avaient appliqué des coefficients de 0,5 pour Mobalpa et de 0,5 (entrepôt) et 0,8 (bureaux) pour l'autre référence, la Cour accueille la demande de l'appelante et retient un coefficient de pondération de 0,3 pour les surfaces hors surfaces de vente.
2 – Sur le traitement de la taxe foncière et la fixation finale du loyer
La question du traitement de la taxe foncière s'avère particulièrement délicate. La société DAX MEUBLES contestait la décision du premier juge d'avoir accordé un abattement de 12 544 euros au titre de cette charge.
La Cour rappelle d'abord les dispositions de l'article R. 145-35 du Code de commerce, qui autorise l'imputation au locataire de « la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l'usage du local ou de l'immeuble ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement ».
Cependant, elle se réfère également à l'article R. 145-8 du Code de commerce selon lequel « les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative ».
La Cour rappelle le principe constant selon lequel « lorsque l'impôt foncier, qui doit normalement être supporté par le bailleur, est mis à la charge du preneur par le bail, cela constitue une charge exorbitante de droit commun qui doit être prise en compte, soit par déduction directe de leur montant de la valeur locative brute, ou par application d'une décote mesurée en pourcentage de cette valeur, ou encore par ajustement du prix unitaire de base ».
Constatant que le bail impute à la société BESSON CHAUSSURES la charge de l'impôt foncier et que la bailleresse « ne démontre pas, ni même n'allègue, que, à l'exception de la taxe d'enlèvement des ordures, elle aurait fait bénéficier la société Besson Chaussures d'une contrepartie à cette charge qui lui est légalement dévolue », la Cour retient « que le paiement de l'impôt foncier tel que contractuellement prévu est une charge exorbitante du droit commun qui doit être prise en compte dans la détermination de la valeur locative des lieux, ce à concurrence de 5 % de décote ».
En appliquant la valeur au mètre carré de 126,09 euros HT proposée par l'expert judiciaire et non contestée par les parties, et en tenant compte de la réintégration de la surface commerciale et de la décote de 5 % pour la taxe foncière, la Cour fixe la valeur locative à 231 305,79 euros HT par an, somme inférieure au plafond de 237 687,72 euros résultant de l'application de l'indice du coût de la construction.Cette décision constitue un exemple de l'application des règles techniques de fixation du loyer commercial, illustrant notamment l'importance du respect de l'affectation contractuelle des surfaces, la nécessité d'adapter les coefficients de pondération aux spécificités de chaque local, et la prise en compte des charges exorbitantes dans l'évaluation locative.