Repères – Bail commercial – Renouvellement – Déplafonnement – Facteurs locaux de commercialité – Garage spécialisé – Zone industrielle – Bègles – 33039
Cour d'appel de Bordeaux, 2e chambre civile, 31 mars 2014, n° 12/01966
La Cour d'appel de Bordeaux a rendu le 31 mars 2014 un arrêt significatif en matière de renouvellement de bail commercial, opposant les SCI Cancer et Scorpion à la SNC Euromaster France. Cette décision illustre parfaitement les conditions d'appréciation de l'évolution des facteurs locaux de commercialité pour une activité spécialisée de garage automobile, particulièrement lorsque l'immeuble est situé dans une zone industrielle peu passante malgré le développement d'une zone commerciale environnante.
L'affaire concernait un bail commercial consenti le 1er janvier 2000 portant sur un ensemble immobilier situé à Bègles, affecté à l'exploitation d'un garage spécialisé principalement dans la vente, la réparation et le rechapage de pneumatiques pour véhicules de tourisme et poids lourds. Suite à la demande de renouvellement du locataire du 2 juillet 2008, les bailleurs avaient sollicité la fixation du loyer renouvelé à 160 000 euros. Le tribunal de grande instance de Bordeaux avait débouté les bailleurs de leur demande de déplafonnement et fixé le loyer à 114 407 euros, décision contre laquelle les SCI avaient interjeté appel.
1 – Sur l'appréciation des facteurs locaux de commercialité et l'impact du développement de zone commerciale
Les bailleurs soutenaient que le développement de la zone commerciale des Rives d'Arcins à Bègles pendant la période de référence justifiait un déplafonnement du loyer. Ils versaient aux débats « le rapport établi postérieurement à l'expertise immobilière du local, le 23.4.2012, par un technicien consulté par eux » pour solliciter « la fixation de la valeur locative à 160.000euros ».
La Cour rappelle d'abord les principes fondamentaux en citant l'article L. 145-33 du code de commerce selon lequel « le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative » déterminée notamment d'après « les facteurs locaux de commercialité ». Elle précise que « la modification des facteurs locaux de commercialité doit donc non seulement être notable, mais encore s'apprécier au regard du commerce effectivement exploité par le locataire ».
S'appuyant sur l'expertise de P. L. du 18 mars 2011, qu'elle qualifie de « détaillée et pertinente », la Cour constate que l'expert judiciaire « estime qu'il n'y a pas eu de modifications notables des facteurs locaux de commercialité pendant la période de référence 1.1.2000- 1.1.2009, car s'il relève le développement de la zone commerciale des Rives d'Arcins à Bègles, il souligne que le bâtiment est situé sur un secteur peu passant, de visibilité moyenne et que le site immédiat reste en zone industrielle dont la desserte n'a pas évolué ».
La Cour relève plusieurs éléments défavorables à la thèse des bailleurs : « la rue où est situé le local commercial est une impasse » et « l'activité majoritaire du locataire concerne les transporteurs routiers qui traitent le plus souvent par convention avec Euromaster ». Ces éléments démontrent que la clientèle d'Euromaster n'est pas constituée de clients de passage susceptibles d'être attirés par le développement de la zone commerciale environnante.
Concernant le rapport technique produit par les bailleurs, la Cour le critique sévèrement, relevant que « ce technicien fait notamment état d'éléments récents postérieurs à la période de référence, comme l'ouverture d'un restaurant, affirme sans l'établir que le développement de la zone commerciale 'a pu apporter une clientèle supplémentaire au local commercial', et ne fournit comme 'termes de comparaison' qu'un prix au m² sans que préciser les caractéristiques des locaux concernés et notamment la distribution des lieux ».
2 – Sur l'absence de répercussion du développement commercial sur l'activité spécialisée et la confirmation de la valeur locative
La Cour procède à une analyse approfondie de l'impact réel du développement de la zone commerciale sur l'activité spécifique du locataire. Elle constate qu'« il n'est donc pas établi par les bailleurs que le développement de la zone commerciale pendant la période de référence 1.1.2000- 1.1.2009 a eu une répercussion directe sur le type d'activité commerciale exercée par le locataire ».
Cette analyse met en évidence un principe fondamental : l'évolution des facteurs locaux de commercialité doit être appréciée en fonction de l'activité réellement exercée par le locataire. En l'espèce, l'activité d'Euromaster, spécialisée dans les pneumatiques et s'adressant principalement aux transporteurs routiers par le biais de conventions, n'est pas susceptible de bénéficier du développement d'une zone commerciale de proximité destinée aux particuliers.
La Cour confirme donc l'évaluation de l'expert judiciaire et considère qu'« il n'y a donc pas lieu de faire droit aux demandes des bailleurs visant à fixer à 160.000euros par an, hors charges et hors taxes, le montant du loyer du bail renouvelé, étant précisé qu'en conséquence, leur demande de modification du montant du dépôt de garantie n'est pas non plus justifiée ».
Elle conclut qu'« ainsi, c'est à juste titre que le premier juge a pu fixer la valeur locative annuelle à compter du 1er janvier 2009 à la somme de 114.407 euros hors taxes et hors charges ».
Cette décision constitue un arrêt de référence pour l'appréciation des facteurs locaux de commercialité des activités spécialisées, démontrant que le développement d'une zone commerciale ne justifie pas automatiquement un déplafonnement si cette évolution n'a pas d'impact direct sur la clientèle spécifique de l'activité exercée, particulièrement lorsque les locaux demeurent situés dans une zone industrielle peu passante.