Repères – Bail commercial – Renouvellement – Valeur locative – Pondération des surfaces – Références locatives – Trop-perçu – Melun – 77000
Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 1er avril 2021, n° 19/02782
La Cour d'appel de Paris a rendu le 1er avril 2021 un arrêt particulièrement instructif en matière de fixation du loyer des baux commerciaux renouvelés, confirmant intégralement le jugement du tribunal de grande instance de Melun du 20 novembre 2018. Cette décision, opposant la SCI CABRI à la SAS BINAME, exploitante d'un supermarché Intermarché, illustre parfaitement l'application des règles de détermination de la valeur locative et précise plusieurs points techniques importants relatifs à la pondération des surfaces, au choix des références locatives et aux conséquences financières du renouvellement.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 2 janvier 1998 pour des locaux à usage commercial situés à Melun, destinés à l'exploitation d'un fonds de commerce à l'enseigne Intermarché. Ce contrat avait été reconduit en 2002 puis en 2006, avant d'être renouvelé judiciairement le 17 janvier 2014 pour une durée de neuf ans. La société BINAME avait sollicité en 2015 la fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative, estimant celle-ci inférieure au loyer plafonné résultant de l'application de la variation indiciaire. Le tribunal de grande instance de Melun avait fixé le loyer à 256 500 euros annuels, décision contestée par la bailleresse qui réclamait une valeur locative de 335 000 euros.
1 – Sur la détermination de la valeur locative et l'appréciation des facteurs de commercialité
L'arrêt développe une analyse méthodique de la détermination de la valeur locative en application de l'article L. 145-33 du code de commerce. La bailleresse contestait la méthode retenue par l'expert judiciaire et le jugement de première instance, proposant notamment de fixer la valeur locative par une moyenne entre deux références locatives, dont l'une correspondait au loyer contractuel indiciaire des locaux sous expertise. La Cour rejette fermement cette approche : « la valeur locative ne peut pas résulter d'une moyenne faite entre les références locatives mais qu'elle ressort de l'ensemble des éléments susvisés de sorte que l'appelante est mal fondée à se prévaloir d'une moyenne entre deux références locatives ». Cette position rappelle que la valeur locative constitue une appréciation globale tenant compte de tous les critères légaux et non une simple moyenne arithmétique de références ponctuelles.
L'arrêt précise également la hiérarchie des références locatives à retenir : « il convient de retenir les références locatives d'activités similaires, prioritairement sur la commune de Melun, les autres termes de comparaison pour une activité similaire et des surfaces comparables situés dans d'autres communes du département pouvant également servir de termes de comparaison, tout en tenant compte toutefois des différences qu'elles comportent en raison de leur localisation ». Cette approche privilégie la proximité géographique tout en admettant l'utilisation de références départementales sous réserve d'ajustements. La Cour retient ainsi comme référence principale sur Melun un Carrefour Market à 120 euros/m² (bail 2011), complétée par diverses références départementales s'échelonnant de 116 à 150 euros/m².
La bailleresse invoquait plusieurs éléments pour contester l'appréciation de la commercialité du secteur, notamment l'augmentation du chiffre d'affaires depuis la mise en location-gérance du fonds en 2015. La Cour écarte cet argument par une analyse temporelle rigoureuse : « si le chiffre d'affaires, qui n'est pas un élément de la valeur locative, peut être un indicateur d'une évolution de la commercialité, le fait que le chiffre d'affaires a augmenté entre 2016 et 2018 est sans incidence puisque cette augmentation est postérieure à la période du bail expiré ». Cette solution rappelle que l'évaluation de la valeur locative doit s'effectuer à la date de renouvellement du bail et non en fonction d'évolutions postérieures. Elle souligne également que le chiffre d'affaires, bien qu'indicateur utile, « dépend de plusieurs facteurs dont la qualité de la gestion et de l'exploitation du commerce par le locataire » et ne constitue pas en lui-même un élément de la valeur locative.
La Cour confirme l'appréciation de l'expert judiciaire de Paris qualifiant la commercialité du secteur de « locale et moyenne », les locaux étant situés « sur l'un des axes d'entrée de la ville de Melun, excentré par rapport au centre-ville, dans un secteur à vocation d'habitat assez dense ». L'arrêt confirme également la pondération retenue par le jugement de première instance, soit une surface pondérée arrondie de 1 900 m². La bailleresse contestait cette pondération, estimant qu'elle ne pouvait être inférieure à 2 006,20 m², mais la Cour renvoie « à la motivation du jugement entrepris en l'absence de moyens nouveaux pertinents ». La Cour relève les caractéristiques positives du local : « les locaux, reconstruits en 2009 présentent une configuration adaptée à l'activité exercée, disposent d'une grande aire de stationnement et bénéficient en façade d'une pharmacie drainant une clientèle supplémentaire ». Elle note également que « l'Intermarché expertisé dispose d'un quai de déchargement, ce qui est certes usuel pour un supermarché, mais participe d'une configuration adaptée des locaux à l'activité exercée ».
2 – Sur les conséquences financières du renouvellement et l'incidence de la fiscalité locale
La bailleresse invoquait le bénéfice d'une exonération de taxe foncière en zone franche urbaine, représentant selon elle plus de 85 000 euros annuels, pour majorer la valeur locative. La Cour rejette cet argument : « s'agissant de la taxe foncière que le bail met à la charge de la locataire, dès lors qu'il s'agit d'un transfert de charges sur la locataire, aucune majoration de la valeur locative ne peut en résulter, ni au demeurant de minoration ». Cette solution confirme que les avantages fiscaux liés à la localisation du bien n'influent pas sur la détermination de la valeur locative, celle-ci devant être appréciée indépendamment des considérations fiscales particulières.
L'arrêt confirme la fixation du loyer renouvelé à 256 500 euros annuels (135 euros × 1 900 m²), soit un montant très inférieur au loyer contractuel qui s'établissait à 379 117,32 euros en 2015.
Cette différence substantielle illustre l'importance de la règle selon laquelle « lorsque la valeur locative est inférieure au montant du loyer plafonné, le loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative, sans qu'il soit nécessaire d'établir une quelconque modification des éléments mentionnés au 1° à 4° de l'article L145-33 du code de commerce ».
La Cour ajoute aux dispositions du jugement de première instance une précision concernant le dépôt de garantie : « le montant du dépôt de garantie devra être réajusté en fonction du montant du loyer fixé à compter du 13/04/2015 ». Cette solution logique découle de la réduction substantielle du loyer et vise à maintenir la proportionnalité entre le dépôt de garantie et le loyer effectivement dû. Cependant, la Cour rejette la demande chiffrée de restitution partielle du dépôt de garantie : « il n'est produit aucun élément justifiant que le montant du dépôt de garantie est précisément de 62 381,06 euros ni que cette somme a été réglée par la locataire ». Cette exigence de justification précise rappelle l'importance de la production de pièces probantes dans les demandes de condamnation pécuniaire.
Cette décision confirme la primauté de l'approche globale sur les méthodes de calcul simplistes, l'importance de la hiérarchisation des références locatives selon leur proximité géographique, et l'indépendance de l'évaluation locative par rapport aux considérations fiscales particulières. L'arrêt illustre également les conséquences pratiques importantes que peut avoir la fixation judiciaire du loyer lorsque la valeur locative s'avère très inférieure au loyer contractuel indexé, situation fréquente dans les secteurs où l'évolution du marché locatif n'a pas suivi l'inflation des indices de référence.