Guide : Loyer de renouvellement à Tignes pour les supermarchés
Les juges de la Cour d’appel de Chambéry ont, dans un arrêt rendu le 1er février 2022, écarté le déplafonnement
du loyer d’un supermarché situé à Tignes le Val Claret, en constatant l’absence de modification des facteurs
locaux de commercialité.
Dans le cadre de ce litige, il était question de savoir :
- Si une modification notable des facteurs locaux de commercialité de la zone d’implantation du local
commercial pouvait être retenue par les juges ; - Le cas échéant, si cette modification pouvait entrainer le déplafonnement du loyer commercial.
1 - La modification notable des facteurs locaux de commercialité
Un bail commercial est en principe conclu pour une durée de neuf années. Au renouvellement du bail, les parties
peuvent s’accorder sur le montant du loyer. En l’absence d’accord, l’une d’entre-elles peut saisir le juge des loyers
commerciaux aux fins de fixer le montant du loyer du bail renouvelé.
Le renouvellement du bail commercial obéit en principe à la règle de plafonnement, prévue à l’article L. 145-34
du Code de commerce, permettant au locataire d’être protégé d’une hausse trop brutale du loyer. Ce
plafonnement correspond au loyer indicé à la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou
de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Toutefois, et par exception, le loyer peut être déplafonné, conformément à l’article L. 145-33 du Code de
commerce. Le cas échéant, il est calculé en fonction de la valeur locative du marché. L’article R. 145-6 du Code
de commerce prévoit à cet égard une des hypothèses de déplafonnement du loyer commercial : l’évolution des
facteurs locaux de commercialité.
À la lumière de la jurisprudence et de l’article susvisé, ces facteurs correspondent notamment à la situation
géographique du commerce (ville, quartier, rue), à sa desserte par les moyens de transport, aux attraits particuliers
de l’emplacement, à la situation des concurrents, au chiffre d’affaires, à la création de logements et de parkings…
En région Rhône-Alpes, lors d’expertises de valeurs locatives commerciales, les magistrats ont caractérisé une
modification notable des facteurs locaux de commercialité dans le cadre de plusieurs dossiers, en particulier :
- La création de la ZAC du Pré Billy à Annecy ;
- Le développement du réseau ferroviaire Léman Express ;
- L’extension de la zone piétonne du centre historique d’Annecy.
Le local commercial dont il est question en l’espèce correspond à un commerce d’alimentation Sherpa, situé à
Tignes, dans le hameau du Val Claret. Culminant à près de 2 300 mètres d’altitude, le hameau présente une réelle
autonomie dans la station de Tignes. L’attrait de cette station pour les porteurs de projets et les touristes a
conduit un développement économique conséquent, transformant la station en quelques années. Dès lors, la
question de la modification des facteurs locaux de commercialité a pu se poser devant les juridictions.
À l’origine de la procédure, un bail commercial a été conclu le 18 décembre 2001, pour une durée de neuf
années, moyennant un loyer annuel de 77 740 euros. Lors du renouvellement du bail, la société bailleresse a
sollicité du juge des loyers la fixation du montant du bail renouvelé à la somme de 203 503, 50 euros. Le tribunal
de grande instance d’Albertville a jugé que le prix du loyer annuel sera fixé à la somme plafonnée de 113 691, 53
euros.
La société bailleresse a interjeté appel de ce jugement. Devant la Cour d’appel de Chambéry, elle sollicite le
déplafonnement du loyer commercial en raison d’une modification des facteurs locaux de commercialité sur la
période du 18 décembre 2001 (date de prise d’effet du bail) au 4 mars 2013 (date de la demande de
renouvellement du bail), et par conséquent la fixation du loyer en fonction de la valeur locative, soit à 233 000
euros par an.
En se fondant sur les indications de son expert, elle s’appuie notamment sur l’évolution de la commercialité dans
l’ensemble de la station de Tignes et dans les autres quartiers, et non pas seulement à Tignes le Val Claret, sur
l’augmentation du chiffre d’affaires de la station, notamment pour l’alimentation générale et sur la création de
logements (plus de 1 500) et de lits (qui représentent, au Val Claret, 66% de la totalité des lits créés).
Ces demandes seront rejetées par les juges de la Cour d’appel de Chambéry, qui approuvent les motifs rendus par
les juges de première instance. Tout d’abord, en se fondant sur l’avis de Madame Sadoux, expert près la Cour
d’appel de Chambéry, ils ont constaté que le hameau Val Claret présentait une réelle autonomie, ce qui leur
autorisait à procéder à une appréciation distincte de sa situation et de celle, plus globale, de la station de Tignes.
En effet, il existe de nombreux hameaux dans la station de Tignes, et tous bénéficient d’une grande autonomie,
en raison des difficultés de transport et de stationnement, conduisant la clientèle a se diriger vers les commerces
de proximité.
Les magistrats ont également constaté que de nombreux logements et lits ont été créés. Cependant, cela n’a pas
impacté la situation du supermarché dès lors que la clientèle a des possibilités de restauration sur leur lieu
d’hébergement. Les chiffres le confirment : la fréquentation du supermarché du Val Claret n’a progressé que de
15,5% sur la période, soit moins que le taux d’inflation national, qui est de 17,23%.
2 - Les conséquences de l’absence de déplafonnement sur le montant du loyer
En conséquent, les juges de la Cour d’appel de Chambéry approuvent les juges de première instance, qui ont
retenu l’absence de modification notable des facteurs locaux de commercialité et conclu au plafonnement du
loyer à la somme de 113 691, 53 euros.
De cet arrêt, il faut tirer une leçon : la situation particulière des stations de ski autorise les experts à procéder à
une appréciation de la zone de chalandise dans laquelle est situé le local commercial. En effet, l’évolution des
facteurs locaux de commercialité de la station de ski est différente en fonction des hameaux, qui présentent tous
une certaine autonomie, raison pour laquelle une appréciation in concreto de la situation de chacun d’entre-eux doit
être effectuée pour déterminer si oui ou non les facteurs locaux de commercialité ont évolué.
Cour d’appel de Chambéry, 1ère chambre civile, 1er février 2022, n°19/02031
Article co-écrit par Mattéo Chanal