Repères – Bail commercial – Indemnité d'occupation et renouvellement après droit de repentir – Centre commercial – Saint-Herblain – 44800
Cour d'appel de Rennes, 5e chambre, 1er juin 2022, n° 19/00230
La Cour d'appel de Rennes a rendu le 1er juin 2022 un arrêt concernant la fixation de l'indemnité d'occupation et du loyer de renouvellement d'un bail commercial portant sur un local de grande surface exploité par H&M au sein du centre commercial Atlantis à Saint-Herblain.
Le litige opposait la SAS SHD-Immo (anciennement Saint Herblain Distribution), bailleresse, à la SARL H&M Hennes & Mauritz, locataire d'un local commercial de 1 546 m² loué par bail du 24 octobre 2001 pour une durée de 12 ans jusqu'au 28 octobre 2013. Par exploit du 8 avril 2013, la société SHD-Immo avait donné congé sans offre de renouvellement avec proposition d'indemnité d'éviction. Cependant, par acte du 30 avril 2015, elle a exercé son droit de repentir et consenti irrévocablement au renouvellement du bail commercial.
Cette chronologie particulière a donné lieu à une période d'occupation précaire de H&M du 29 octobre 2013 au 30 avril 2015, pendant laquelle le locataire avait droit au maintien dans les lieux moyennant le versement d'une indemnité d'occupation, conformément à l'article L.145-28 du code de commerce.
1 – Sur la détermination de l'indemnité d'occupation
La fixation de l'indemnité d'occupation constitue l'enjeu principal de cette affaire. Cette indemnité doit être déterminée par référence à la valeur locative, elle-même établie selon les critères énumérés à l'article L.145-33 du code de commerce : caractéristiques du local, destination des lieux, obligations des parties, facteurs locaux de commercialité et prix pratiqués dans le voisinage.
Le local litigieux présente des caractéristiques spécifiques. D'une superficie totale de 1 546 m², il se répartit en 1 075 m² au rez-de-chaussée (dont 1 000 m² de surface de vente) et 471 m² de mezzanine affectés aux réserves, locaux techniques et locaux sociaux. Le local bénéficie d'un emplacement favorable au sein du centre commercial Atlantis, situé près de l'enseigne Ikéa qui constitue la locomotive de cette partie du centre.
La Cour a appliqué le principe de pondération des surfaces, recommandé par la Charte de l'expertise en évaluation immobilière. Elle a retenu un coefficient de 1 pour la surface du rez-de-chaussée et un coefficient de 0,4 pour la mezzanine servant de réserve, aboutissant à une surface pondérée de 1 263,40 m².
Cette approche méthodique s'avère essentielle dans l'évaluation des locaux commerciaux comportant des parties aux usages différenciés. La Cour a rejeté les contestations de H&M qui souhaitait limiter la surface prise en compte à 1 000 m² en se prévalant d'une clause contractuelle, considérant que cette clause visait uniquement à figer le montant du loyer minimum initial.
Pour déterminer la valeur locative au mètre carré, l'expert s'est appuyé sur l'analyse de références comparables situées dans le même centre commercial. Trois enseignes ont été retenues : Zara (1 477 m² pour 473,93 euros/m²), Pull & Bear (407 m² pondérés pour 650 euros/m²) et Bizzbee (680 m² pour 570 euros/m²). La moyenne de ces références s'établit à 564,64 euros/m².
La Cour a particulièrement valorisé la référence Zara, considérant que ce local présente des caractéristiques similaires à celui de H&M : grande superficie, activité identique de prêt-à-porter et situation à proximité immédiate. Le bail Zara, conclu le 20 novembre 2011, présentait l'avantage d'une date proche de la période de renouvellement litigieuse.
Un point de débat important concernait l'application d'un abattement pour précarité. La Cour a confirmé l'abattement de 10% retenu par le premier juge, rejetant la demande de H&M d'un abattement de 15%. Elle a considéré que l'incertitude économique résultant du congé avec refus de renouvellement justifiait cet abattement, sans qu'il soit nécessaire pour le preneur d'établir l'existence d'un préjudice spécifique.
La Cour a également rejeté la demande de déduction de la taxe foncière supportée par H&M. Bien que cette charge puisse constituer une obligation exorbitante justifiant une minoration selon l'article R.145-8 du code de commerce, l'analyse des baux de référence a révélé que l'ensemble des locataires du centre commercial supportaient cette charge.
Le calcul final s'établit comme suit : 564,64 euros × 1 263,40 m² = 713 366,17 euros, ramenés à 642 029,56 euros après application de l'abattement de précarité de 10%.
2 – Sur les questions de compétence et la fixation du loyer renouvelé
H&M soulevait une exception d'incompétence, soutenant que les contestations relatives à la fixation du loyer renouvelé relevaient exclusivement du juge des loyers commerciaux. La Cour a rejeté cette exception en s'appuyant sur l'article R.145-23 du code de commerce, qui prévoit que le tribunal de grande instance, saisi à titre principal d'une autre contestation, peut accessoirement se prononcer sur la fixation du prix du bail.
En l'espèce, le tribunal était compétent à titre principal pour statuer sur l'indemnité d'occupation résultant de l'exercice du droit de repentir. Il pouvait donc, accessoirement, fixer le montant du loyer renouvelé. Cette solution pragmatique évite la multiplication des procédures.
La particularité du bail, comportant une clause-recette (loyer minimum plus pourcentage du chiffre d'affaires), ne remettait pas en cause cette compétence. Les parties n'avaient pas expressément désigné le juge des loyers commerciaux comme seul compétent.
Le loyer du bail renouvelé a été fixé à la valeur locative réelle, soit 713 366,17 euros annuels hors taxes et hors charges (loyer minimum garanti), conformément aux stipulations contractuelles et à l'article L.145-33 du code de commerce. Cette fixation s'opère sans référence au loyer antérieur, le droit de repentir ayant pour effet de "purger" le bail de son histoire locative.
Les conséquences financières s'avèrent substantielles pour H&M, condamnée à payer des arriérés de loyers depuis le 1er mai 2015 pour un montant total de 313 558,67 euros. Ces arriérés portent intérêts au taux contractuel (taux d'escompte de la Banque de France majoré de 4 points) avec capitalisation annuelle.
Cependant, l'application de l'article L.145-58 du code de commerce tempère cette charge. Cet article, qui met à la charge du bailleur ayant exercé son droit de repentir les frais de l'instance, a conduit à condamner SHD-Immo au remboursement des frais d'avocat de H&M (12 695 euros) et de sa quote-part des frais d'expertise (5 181,60 euros). Cet article est intéressant à plus d’un titre ; outre la question de la compétence de la juridiction mise en cause, le mode de calcul de l’indemnité d’occupation est rappelé ainsi que le principe de l’abattement pour précarité ; mais aussi, la Cour considère que les locaux de référence retenus ayant mis à la charge du locataire la taxe foncière, aucune déduction à ce titre ne sera appliquée.