Repères – Bail commercial – Renouvellement – Valeur locative – Abattements – Charges – Centre commercial – Versailles – 78000
Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 13 avril 2023, n° 21/04006
La Cour d'appel de Versailles a rendu, le 13 avril 2023, un arrêt particulièrement instructif en matière de fixation du loyer de renouvellement d'un bail commercial, dans un litige opposant la SCI ESQ à diverses sociétés NAF NAF et leurs auxiliaires de justice. Cette décision aborde des questions essentielles relatives à la détermination de la valeur locativedans un centre commercial et à l'application d'abattements pour charges exorbitantes.
L'affaire trouve son origine dans l’expertise immobilière d’un local commercial de 205 m² dans le Centre commercial Espace Saint-Quentin à Montigny-le-Bretonneux, avec un bail commercial conclu le 2 juillet 2003, consenti pour une durée de dix années avec un loyer binaire composé d'un loyer de base et d'un loyer variable. Après renouvellement tacite en 2013, la SCI ESQ avait saisi le juge des loyers en 2016 pour la fixation du nouveau loyer, dans un contexte compliqué par la liquidation judiciaire de NAF NAF en 2020 et la cession des actifs à New NAF NAF.
Le tribunal judiciaire de Versailles avait, par jugement du 3 juin 2021, fixé le loyer de renouvellement à 160 000 euros HT et HC par an, décision contre laquelle la SCI ESQ avait interjeté appel, réclamant un loyer de 210 000 euros.
1 – Sur la détermination de la valeur locative et la confirmation de l'expertise judiciaire
La première question technique abordée par la Cour concerne la détermination de la valeur locative de base. La SCI ESQ contestait l'estimation de l'expert judiciaire de 950 euros/m²/an, revendiquant l'application d'un prix unitaire de 1 010 euros/m²/an correspondant à la moyenne arithmétique de huit références locatives situées dans le même centre commercial.
L'appelante reprochait au premier juge d'avoir écarté trois références locatives qu'elle avait fournies mais qui ne figuraient pas dans le panel de comparaison de l'expert judiciaire : les références Sepia (1 100 euros/m²/an pour 62 m²), Stevenson (900 euros/m²/an pour 85 m²) et Lea Lauryl (1 057 euros/m²/an pour 53 m²).
La Cour adopte une position ferme en faveur de l'expertise judiciaire. Elle relève que l'expert avait procédé à l'analyse de 11 références locatives situées dans le Centre commercial Espace Saint-Quentin, constituant une unité de marché autonome, après avoir écarté les références trop anciennes (antérieures à 2010). L'expert avait constaté que les loyers étaient assez homogènes, compris entre 832 euros/m²/an et 1 150 euros/m²/an, avec un loyer moyen de 960 euros/m²/an et un loyer médian à 942 euros/m²/an.
Concernant les références contestées, la Cour observe que « ces données reposent sur les seules affirmations de l'appelante » et que « le juge des loyers a justement relevé que la référence Stevenson correspondait à un prix unitaire sensiblement inférieur à celui proposé par l'expert et que les autres références portaient sur des surfaces plus petites que celle du magasin Naf Naf, de 205 m², sachant qu'il est d'usage d'appliquer un loyer moindre pour des surfaces plus importantes ».
En conséquence, la Cour confirme l'estimation de l'expert judiciaire et retient la valeur locative de 950 euros/m²/an, soit 194 750 euros HT et HC par an pour la surface de 205 m² GLA.
2 – Sur l'application des abattements pour charges exorbitantes et la fixation finale du loyer
La question des abattements constitue le cœur technique de cette décision. Les intimées sollicitaient l'application de différents abattements au titre des charges exorbitantes en se prévalant des dispositions de l'article R. 145-8 du Code de commerce.
La Cour rappelle d'abord le principe selon lequel « les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages ».
Analysant les clauses du bail, la Cour constate que celui-ci met à la charge du preneur l'impôt foncier, les grosses réparations visées à l'article 606 du Code civil, les travaux de mise aux normes, les travaux de vétusté, les primes d'assurance souscrites par le bailleur et les frais de gestion de l'immeuble.
La Cour considère que « toutes ces charges présentent un caractère exorbitant en ce qu'elles sont normalement à la charge du bailleur, et elles constituent un facteur de diminution de la valeur locative en application de l'article R. 145-8 susvisé du code de commerce, quand bien même les autres locataires du centre commercial supportent les mêmes charges locatives ».
Elle retient un abattement global de 10 % pour ces charges exorbitantes et un abattement de 3 % au titre de la taxe foncière, confirmant ainsi la position des premiers juges.
En revanche, elle rejette l'abattement de 5 % au titre du loyer variable retenu par le tribunal. La Cour se fonde sur l'interprétation stricte des clauses contractuelles, relevant que les parties ont expressément stipulé que le loyer de base serait fixé « par référence aux prix pratiqués dans le Centre commercial pour des locaux équivalents » et que « la fixation d'un loyer selon un mode binaire se composant d'un loyer de base et d'un loyer variable est une condition essentielle et déterminante du bail et de son ou ses renouvellements ».
En appliquant les abattements retenus (13 % au total), la Cour fixe le loyer annuel de base du bail renouvelé à 169 432,50 euros (205 m² × 950 euros/m²/an × 0,87), arrondi à 170 000 euros HT et HC, soit un montant supérieur aux 160 000 euros fixés par le premier juge mais inférieur aux 210 000 euros réclamés par la bailleresse.Cette décision constitue un exemple de l'application des règles de fixation du loyer commercial dans un centre commercial, illustrant notamment l'importance de l'expertise judiciaire dans la détermination de la valeur locative, la nécessité de prendre en compte les charges exorbitantes même usuelles dans ce type d'environnement commercial, et le respect strict des stipulations contractuelles concernant les modalités de fixation du loyer de renouvellement.