Repères – Bail commercial – Renouvellement – Révision – Déplafonnement – Expertise unilatérale – Indice de référence – Grenoble – 38000
Cour d'appel de Grenoble, chambre commerciale, 23 février 2023, n° 19/04074
La Cour d'appel de Grenoble a rendu le 23 février 2023 un arrêt particulièrement instructif en matière de fixation du prix des baux commerciaux révisés et renouvelés. Cette décision, opposant la SARL Financière Bernard Perd à la SAS La Halle, présente un double intérêt : elle précise les conditions d'appréciation des modifications notables des facteurs locaux de commercialité justifiant le déplafonnement et clarifie l'application temporelle des nouvelles dispositions relatives aux indices de référence issues de la loi Pinel.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 6 juillet 2005 pour des locaux situés dans une zone commerciale, initialement loués 207 500 euros annuels et indexés sur l'indice du coût de la construction. En 2009, la société Déco Center 38 avait cédé son droit au bail à la société La Halle. Cette dernière avait sollicité en 2012 la révision du loyer à la valeur locative puis, en 2014, le renouvellement du bail. Le tribunal de grande instance de Grenoble avait fixé le loyer révisé à 280 550 euros et le loyer renouvelé à 244 316 euros, décisions contestées par la bailleresse qui réclamait notamment le déplafonnement du loyer de renouvellement.
1 – Sur les conditions du déplafonnement et la valeur probante de l'expertise unilatérale
L'arrêt développe une analyse rigoureuse des conditions permettant d'écarter la règle du plafonnement lors du renouvellement d'un bail commercial. La bailleresse invoquait une modification notable des facteurs locaux de commercialité en s'appuyant sur une expertise unilatérale réalisée à sa demande. Cette expertise relevait plusieurs évolutions significatives de l'environnement commercial entre 2005 et 2014 : l'ouverture d'un magasin Ikea en 2006 constituant une « locomotive » pour les commerces de proximité, la création entre 2006 et 2011 d'une zone commerciale « Porte du Grésivaudan » sur 35 321 m² en face de la zone existante, l'édification de nouveaux bâtiments commerciaux, des modifications de la voirie d'accès et une augmentation de 5,42% de la population communale entre 2006 et 2011.
L'expert privé concluait que ces changements avaient généré un flux supplémentaire de chalands susceptible de profiter au commerce exploité par la société La Halle, s'appuyant sur la croissance du chiffre d'affaires de différentes enseignes de la zone pour conclure à une modification notable des facteurs locaux de commercialité justifiant le déplafonnement.
Cependant, la Cour rappelle un principe fondamental en matière de preuve : « si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut fonder sa décision exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l'une des parties si elle n'est pas corroborée par d'autres éléments de preuve ». Cette position illustre la méfiance légitime du juge à l'égard des expertises unilatérales, par nature partiales.
La Cour confronte les conclusions de l'expertise privée à celles de l'expert judiciaire de Grenoble qui, bien qu'ayant également noté la création de quatre nouvelles zones d'activités sur la commune, le développement de la zone commerciale, l'excellente visibilité du local et la présence d'enseignes nationales, « n'a cependant pas fait état d'une modification notable des facteurs de commercialité ». L'absence de corroboration par d'autres éléments conduit la Cour à écarter le motif de déplafonnement : « aucun autre élément soumis à la cour ne permet de corroborer les conclusions de M. [E] qui ne peuvent suffire à établir le motif de déplafonnement ».
Cette solution confirme que l'expertise unilatérale, même détaillée, ne peut à elle seule emporter la conviction du juge en l'absence d'éléments objectifs complémentaires. Elle souligne également l'importance de l'expertise judiciaire contradictoire dans l'appréciation des modifications des facteurs locaux de commercialité.
2 – Sur l'application temporelle de la loi Pinel et la détermination des indices de référence
L'arrêt contient un développement particulièrement éclairant sur l'application dans le temps des dispositions de la loi du 18 juin 2014 dite « loi Pinel » qui a supprimé la référence à l'indice du coût de la construction au profit de l'indice des loyers commerciaux. Cette question technique revêt une importance pratique considérable compte tenu de l'évolution divergente de ces deux indices.
La Cour procède à une analyse minutieuse du mécanisme de renouvellement des baux commerciaux pour déterminer la date de référence. Elle rappelle que « la demande de renouvellement du bail a été signifiée le 27 mars 2014, soit dans les six mois précédant l'expiration du bail initial, et conformément aux dispositions de l'article L.145-12 du code de commerce, le nouveau bail a pris effet à compter de l'expiration du bail précédent ». Le bail s'étant donc renouvelé le 26 juillet 2014, soit antérieurement au 1er septembre 2014, date d'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, l'ancien indice du coût de la construction demeure applicable.
Cette solution repose sur une interprétation fonctionnelle du mécanisme de renouvellement. La Cour précise que « la loi accordant par ailleurs aux parties un droit d'option leur permettant de renoncer au renouvellement après la décision définitive de fixation judiciaire du loyer, il se déduit de ces dispositions que le bail se renouvelle indépendamment de la fixation de son prix, aucune disposition du statut des baux commerciaux ne soumettant le renouvellement à la condition de fixation préalable du nouveau loyer ». Cette analyse dissocie clairement le renouvellement du bail, qui intervient de plein droit à l'expiration du bail précédent, de la fixation judiciaire du loyer qui peut intervenir postérieurement.
En conséquence, le loyer plafonné doit être calculé selon la formule : 207 500 × 1648/1270 = 269 259,84 euros, l'expert judiciaire ayant retenu une valeur locative de 282 000 euros supérieure à ce plafond. La Cour infirme donc le jugement de première instance qui avait à tort appliqué l'indice des loyers commerciaux et fixe le loyer renouvelé à 269 259,84 euros annuels.
Cette décision constitue un arrêt de référence pour l'application temporelle de la loi Pinel. Elle confirme que seule la date effective de renouvellement du bail, et non celle de la décision judiciaire fixant le loyer, détermine l'applicabilité des nouvelles dispositions. Cette solution protège la sécurité juridique en évitant que les aléas de la procédure judiciaire influent sur le régime applicable au bail.
L'arrêt rappelle que l'expertise judiciaire demeure l'instrument privilégié d'évaluation de la valeur locative, les expertises unilatérales ne pouvant suppléer à l'insuffisance de l'instruction contradictoire.