Repères – Bail commercial – Station de ski – Demande de révision à la baisse – Valeur locative – Clause tous commerces restrictive – Cession libre du droit au bail – Courchevel – 73570
Cour d'appel de Chambéry, 1re chambre, 7 février 2023, n° 16/02684
La Cour d'appel de Chambéry a rendu le 7 février 2023 un arrêt d'infirmation remarquable en matière de fixation de la valeur locative d'un bail commercial en station de ski, réduisant significativement le loyer fixé par le tribunal de grande instance de Bonneville. Cette décision, opposant la société BIG BOSS à la SCI LAEKEN, illustre parfaitement l'application des cinq critères de l'article L 145-33 du code de commerce dans le contexte spécifique d'une station de sports d'hiver et démontre l'importance de l'analyse détaillée des clauses contractuelles et de leur impact sur la valeur locative.
L'affaire concernait un bail commercial conclu le 20 décembre 1985 portant sur un local commercial situé dans une galerie marchande à Courchevel, régulièrement renouvelé en 1994 avec un loyer fixé à 128 678,26 francs (19 616,87 euros), puis en 2004 à 47 760 euros HT. Lors du renouvellement de 2013, la société Big Boss sollicitait une révision à la baisse du loyer plafonné de 62 796 euros HT, demandant sa fixation à 44 300 euros. La Cour d'appel a finalement fixé la valeur locative à 54 000 euros HT et hors charges.
1 – Sur l'application des critères de l'article L 145-33 et les spécificités des stations de ski
La Cour rappelle le principe fondamental selon lequel « lorsque la modification du loyer est sollicitée par le preneur à la baisse, ce dernier n'a pas à démontrer l'existence d'une modification notable de ces mêmes éléments, mais le juge doit fixer le montant du loyer du bail renouvelé à la valeur locative, et à défaut d'accord des parties, comme c'est le cas en l'espèce, fixer cette valeur locative d'après les cinq éléments définis à l'article L 145-33 ».
Concernant les caractéristiques du local, la Cour constate que « les locaux sont constitués de deux espaces en rez de chaussée, dépourvus de sanitaire et de point d'eau, réunis par une porte et en sous-sol des réserves de 39 m² ». S'agissant de l'emplacement, elle observe que « s'il ne peut être contesté que l'emplacement de la boutique de la société Big Boss est bien situé, dans un endroit favorable, un emplacement [dans cette rue] est légèrement moins favorable que dans la [rue principale] encore plus fréquentée d'où la qualification par l'expert de Zone 1 bis ». La Cour retient « une surface utile pondérée de 87 m² ».
S'agissant de la destination des lieux, la Cour procède à une analyse approfondie de la clause particulièrement restrictive en station de ski, qui interdit notamment « la vente et la location de matériel de skis et de montagne, skis, bâtons, crampons, fixation de skis, chaussures de skis ». Elle considère que « compte tenu des restrictions majeures apportées à l'utilisation des locaux, cette clause ne peut être considérée comme un bail tous commerces ». La Cour souligne que « ces restrictions doivent aussi être envisagées en fonction des lieux, à savoir en l'espèce, une station de ski, où nombreux sont les commerces ayant pour activités la vente des produits ou de services, ici interdite ». En conséquence, « eu égard à une limitation qui doit être qualifiée très importante de la clause tous commerces en raison des activités interdites et du lieu de l'implantation du commerce (station de ski), la majoration retenue sera fixée à 2 % ».
Concernant les facteurs locaux de commercialité, la Cour dresse un portrait détaillé de la station : « La station de [Courchevel] est prisée par une clientèle très fortunée. Actuellement, elle possède 29 hôtels dont sept qui possèdent 5 étoiles, le nombre de lits est de 876. Elle est dotée notamment d'un spa, d'un golf avec green chauffant l'hiver, d'un casino, d'une médiathèque. Les commerces de luxe sont donc favorisés ».
2 – Sur les obligations des parties et la clause de cession libre du droit au bail
La Cour examine attentivement la clause controversée selon laquelle « le preneur pourra céder son droit au présent bail et sous-louer totalement ou partiellement sans le consentement écrit du bailleur, les locaux ci-dessus désignés ». Elle écarte l'argument de la société Big Boss selon lequel cette clause contiendrait une erreur matérielle, considérant que « compte tenu de la précision de la clause, il ne peut être envisagé une erreur matérielle dans sa rédaction avec l'oubli de la négation ».
La Cour analyse l'impact de cette clause au regard du droit commun : « S'agissant de la cession du droit au bail, la cession intervient en majorité dans le cadre de la cession du fonds de commerce dont le droit au bail est un élément incorporel, cession que le bailleur ne peut pas interdire, même s'il peut y mettre des conditions ce qui n'est pas le cas en l'espèce ». Elle précise que « la clause a tout son intérêt en revanche en cas de cession du droit au bail sans cession du fonds de commerce, hypothèse peut-être moins fréquente toutefois ».
Concernant la sous-location, elle observe qu'« elle est par principe interdite légalement sans autorisation du bailleur, mais en l'espèce tel n'est pas le cas, le bailleur devant uniquement être appelé à l'acte qui doit être authentique ». La Cour conclut qu'« en conséquence, compte tenu de cette clause dont la clarté doit conduire à écarter toute interprétation, clause favorable au preneur, il sera retenu une majoration de 8 % pour la cession libre du droit au bail et une majoration de 3,5% pour la liberté de la sous-location ».
Après avoir examiné les différentes expertises et références de prix, la Cour fixe « la valeur locative à la valeur de 54 000 euros pour une surface utile pondérée retenue de 87 m², avec un prix de base au m² pondéré de 547 euros, et avec une majoration de 13,5% (2% clause tous commerces restrictive ; 3,5% sous-location libre ; 8 % cession droit au bail sans accord du bailleur ; 0 % pour l'effet vitrine) soit 620,84 euros le m² pondéré ».
Cette décision constitue un exemple de l'application rigoureuse des cinq critères de l'article L 145-33 du code de commerce dans le contexte spécifique d'une station de sports d'hiver, démontrant l'importance de l'analyse concrète des clauses contractuelles et de leur impact sur la valeur locative, particulièrement en matière de restrictions d'activité et de liberté de cession.